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mercredi 11 novembre 2009

Un Couple Funeste - Chapitre 4 - Once more saved !

Lucien Morel


Je n'ai pas gardé longtemps Thérèse et son bébé mais l'histoire a une suite ou, du moins, avec quelque malchance, aurait pu facilement en avoir une.

Je larguai le sac dans lequel je les avais déposés tous les deux, serrés dans les bras l'un de l'autre, pour que rien ne les sépare avant que leurs os fuient dans les courants, deviennent poreux et légers comme la pierre ponce, s'effritent et disparaissent pour renaître dans la chaux des étoiles de mer. A l'instant où l'eau se refermait sur eux, des portes claquèrent dans le silence de la nuit, des appels retentirent. Sur la berge, des hommes couraient dans ma direction.


- Hé là ! Hé !
- Par là ! Par là !

Sans doute avais-je été aperçu par des ouvriers. Ils me chassaient comme les chiens le lièvre et comme lui je courais en zigzag, à travers les rues nocturnes. Parfois leurs clameurs se rapprochaient dangereusement, puis tout à coup ils semblaient perdre ma trace, je les entendais s'interpeller, se lancer des injonctions, des conseils.

Les murs aux affiches lacérées, les façades aveugles des hangars, les fabriques abandonnées passaient à mes côtés, sur un rythmes de rêve. Ignorant où j'étais, courant éperdument dans le dédale des rues hostiles, je craignais surtout de m'engager dans quelque impasse.

Et soudain, ce fut le choc que je n'attendais pas : mon corps tout entier entra violemment en contact avec quelque chose, en quelques secondes je compris en fait que c'était plutôt quelqu'un. Je ne pris pas le temps de réfléchir d'avantage, je gardai la personne contre moi en lui couvrant la bouche d'une main et me plaqua de dos contre un mur sans lâcher prise, mon autre bras en ceinture autour de sa taille.

Tandis que je tentai de retrouver un rythme normal dans ma respiration, j'eus encore le temps d'apercevoir, à l'angle d'un mur, un groupe d'hommes gesticulant follement sous la lumière d'un réverbère.


Ruth Paine

La journée a été éprouvante, surtout en émotion forte. Lucien Morel qui la mettait dans des états proches d'une transe, ses livres qui étaient partis en restauration chez ce même M.Morel. Depuis qu'elle l'avait rencontré dans les cryptes, il était un peu un fantôme dans sa vie qui l'excitait de manière critique.
Elle savait que ce soir là, elle devrait tuer. Alors elle s'était préparée en faisant une sieste, en rentrant chez elle pour enfiler une tenue adéquate à l'excitation d'un mâle.

Elle alla donc écumer quelques bars et boîtes de nuit pour trouver celui qui la comblera ce soir-là. Et elle tomba dessus alors qu'elle marchait tranquillement dans la rue. Un jeune oisillon de dix-huit printemps qui l'avait regardé la langue presque collée au sol. Elle s'était alors approchée de lui et très rapidement ils s'étaient exilés dans une ruelle tranquille.

Elle prit son temps cette fois-ci, permettant à l'adolescent de goûter des fruits que peu d'homme avait pu même apercevoir. Il n'en était pas à son coup d'essai et le faire dans la rue semblait terriblement l'exciter. Elle se laissa relever la jupe, elle le laissa même y glisser sa main. Elle lui enfila de sa main experte un préservatif avant de le laisser même la pénétrer aussi sauvagement qu'une bête un rut.

Mais elle l'arrêta et finit le reste à sa manière. Puis quand il fut épuisé, elle sortit son couteau et l'égorgea, se tenant dans son dos pour éviter d'être aspergée de sang. Et alors qu'elle réfléchissait au moyen de déplacer le corps et où le cacher, elle fut percutée de plein fouet ce qui lui coupa le souffle. Et elle n'eut pas le temps de le récupérer que son agresseur lui barrait la bouche de la main et se collait à elle.

D'abord sonné, elle entendit des voix crier et comprit bien vite qu'on recherchait l'homme - parce qu'elle sentit que s'en était un. Décidée de ne pas se laisser faire, elle sortit son couteau à peine essuyé et l'appliqua délicatement sur la gorge de l'inconnu en faisant bien attention à ne pas le blesser puis de son autre main, elle baisse celle qui lui couvrait la bouche et murmura :

- Je vous conseille de vous reculer.

La nuit nuageuse ne permettait pas une vision même à si proche visage bien que Ruth fût douée pour voir dans le noir.

Lucien Morel

Je retins presque mon souffle pour ne pas me faire repérer, bien qu'il me semblait en avoir besoin plus que jamais après ma course. J'ignorais presque la personne que j'avais entre les mains, il n'y à a que sa taille fine que mon bras encerclait qui pouvait m'indiquer que c'était une femme.

Puis je retins ma respiration pour de bon en sentant un contact froid contre ma gorge, fort heureusement pour moi, les voix s'éloignaient. Mais, visiblement, il me faudrait m'occuper d'un autre problème à présent. Je laissai ma main s'écarter et défis mon étreinte autour de cette taille fine.

Dans un réflexe lent, je levai doucement les mains pour les mettre en évidence. De toute ma vie, je n'avais jamais porté la moindre arme sur moi et même mes poings n'avaient jamais servi à la moindre violence.

Par un besoin vital et un instinct de survie -hélas-, mon souffle revint de lui même, saccadé, encore épuisé par l'effort que je venais de fournir, plus excité que jamais par la course poursuite, le danger faisait parti de l'ensemble

Une voix, qui était bien féminine, murmura des conseils menaçant. Je ne demandais qu'à reculer, mais un pas en arrière suffit pour que mon dos rencontre déjà le mur derrière moi, je plissai les yeux pour tenter de distinguer les traits de la femme qui me tenait en joue, mais rien à faire, l'effort avait affaibli ma vue et dans cette obscurité je ne distinguais plus grand chose.


- Je n'ai pas la moindre intention de vous vouloir du mal.

Je laissai néanmoins mes mains en évidence pour lui donner une preuve de ma bonne foi.


Ruth Paine

L'inconnu s'était docilement écarté et avait mis ses mains bien en évidence pour que Ruth s'aperçoivent qu'il ne lui voulait rien. Elle s'en était bien rendue compte car elle l'avait senti paniquer à l'approche des voix puis détendu lorsqu'elles s'étaient éloignées. Enfin détendu oui et non, avoir un couteau sous la gorge n'est pas ce qu'on peut appeler une détente.

Elle était encore toute excitée de son meurtre et de ses préliminaires et elle pouvait encore en manger un voir deux comme ça, bien qu'elle n'ai plus envie de tuer. Elle se demandait ce que ça faisait de coucher sans tuer. Elle ne le savait pas.

Lorsqu'il parla elle crut reconnaître une voix familière mais elle avait un doute. Elle avait retiré le couteau de sous la gorge mais le gardait quand même en main. Il n'avait pas l'air dangereux mais il était tout de même poursuivi par plusieurs personnes. La question dépassa alors ses lèvres :

- Que vous voulez ces hommes ?

Elle comprenait que sous l'effet du danger il se soit précipité à faire taire la femme mais elle avait du mal à se laisser dominer, mais en même temps cela avait été si excitant. C'était sûrement les restes de ses ébats. Elle essaya de scruter un peu mieux le noir dans l'espoir d'apercevoir un trait du visage de son percuteur.

Elle décida en même temps de replier le couteau, elle sentait qu'elle avait un être inoffensif en face d'elle.

- Je range mon couteau, baissez les mains, je ne compte pas non plus vous faire de mal...

"... pour le moment."

Elle respira un bon coup pour calmer la douleur post-traumatique puis se frotta l'endroit touché.

- Vous deviez être totalement paniquer pour donner un tel coup. A moins que vous ne soyez rugbyman.

Elle essayait de se donner un peu de contenance, de se rassurer elle-même parce qu'un corps gisait quelques mètres à côté d'eux et parce qu'elle venait de plaquer un couteau sous la gorge d'un inconnu affolé. Elle préférait les hommes consentants...

Lucien Morel

Mon attention se portait plus sur les voix qui s'éloignaient trop lentement à mon goût. Je n'avais pas capté la première question de la jeune femme, la tête à moitié tournée vers mon épaule, à la sortie de la ruelle et l'oreille attentive de ce côté là uniquement. Ni mon cœur, ni ma respiration ne semblaient décidé à se calmer, en plus de ça, le sang affluait beaucoup trop dans mon corps, autant que l'adrénaline dans les circuits de mon cerveau. Je me mordis la lèvre sous ces effets, la peur est si agréable parfois.

Quand la jeune femme ouvrit la bouche à nouveau, je baissai mes mains, soulagé de ne plus être menacé. Je repris mon souffle en inspirant un bon coup, la jeune femme en faisait autant, j'avais dû l'effrayer avec cette rencontre un peu brusque. Tout ce que j'avais voulu, c'était qu'elle ne me fasse pas remarquer. En plus, je ne m'attendais pas à croiser quelqu'un dans les environs à cette heure. Un ivrogne peut être ou un clochard à la limite. Mais cette jeune femme était loin de tout ça.

J'entendis sa voix à nouveau, que les vivants sont bruyants. Dans un nouveau réflexe, j'ai levé ma main pour la poser et non plus la plaquer brusquement sur ses lèvres. De l'autre main, j'ai levé l'index sur mes lèvre pour lui imposer le silence. Dans ce même geste, je me suis penché, épaule contre le mur et j'ai sorti la tête de la ruelle, à la lumière de réverbère. J'inspectais les environs pour vérifier que la voix était libre.

Enfin je pouvais presque respirer normalement. Alors, doucement, j'ai éloigné ma main, de moi-même cette fois et je me suis laissé glissé contre le mur pour m'assoir un instant. Je me mordis à nouveau la lèvre en relevant la tête pour laisser celle-ci reposer contre le mur.

- Je pourrais, moi aussi, vous poser tout à tas de questions...


Ruth Paine

La jeune femme parlait trop fort et l'inconnu lui imposa de nouveau le silence un peu moins brusquement. Elle se tut, acceptant l'interdiction momentanée. Si l'homme était en danger, le retrouver en sa compagnie l'aurait mise elle-aussi en danger, d'autant plus qu'un corps était là, tout près.

Elle retint presque sa respiration pour faire le moins de bruit possible, bizarrement cette situation lui était plus agréable qu'elle ne l'aurait pensée, comme sa rencontre dans les cryptes avec ...

Les images se brouillèrent, il ne fallait pas qu'elle y repense maintenant. Elle sut à ce moment qu'elle ne serait jamais rassasié tant qu'elle n'aurait pas...

Il la coupa dans ses réflexions en éludant la question avec intelligence, mais elle avait de la répartie.

- Sauf que je ne suis pas poursuivie par une meute d'hommes apparemment en colère. Ca fait une sacré différence je crois.

Elle chuchotait, toujours dans le but d'attirer le moins possible l'attention.

- Pour ma part je me promenais et je me suis perdue, distraite par le silence de la nuit. Jusqu'à ce que vous me fonciez délicatement dessus.

C'était son tour de s'accroupir, épuisée d'un coup.

- Que diriez-vous de continuer notre discussion autre part. Le coin est pas rassurant.

Elle avait surtout envie d'éloigner un potentiel témoin.

- Et puis si meute cette refait son apparition, je trouverais bien quelque chose pour les faire fuir.

Son ton était sérieux, elle ne souriait pas, bien au contraire. Elle était soudainement fatiguée et se sentait de prendre une journée de congé demain. Les émotions de ces dernières vingt-quatre heures l'avait vidée de toute énergie. Cette pensée lui arracha d'ailleurs un bâillement.

Lucien Morel

A vrai dire, la poursuite nocturne m'avait beaucoup affecté, mais si elle n'avait fait que ça... Je flairais le danger, peut-être devais-je le craindre, et pourtant, il me donna l'impression que je n'avais pas pu profiter de mon plaisir de ce début de soirée, avec Thérèse et son bébé.

Je n'ai pas jugé nécessaire de répondre aux explications de la jeune femme, au fur et à mesure que celle-ci parlait, j'avais l'impression de retrouver un ton familier. Elle me proposa de changer de coin mais je préférais rester là pour le moment, le temps que ça passe.

Sa dernière phrase m'arracha un léger rire discret, on ne peut plus nerveux, mais il m'avait tout de même surpris, comme il aurait sans doute surpris n'importe quelle personne qui m'avait déjà rencontré. Et oui, l'antiquaire morne et sombre du bazar des rêves était, lui aussi, capable d'hilarité soudaine.

Je ne me moquais pas, pas du tout même. Sa phrase m'avait ramené de bons souvenirs, pourtant si douloureux. La chasse que j'avais subie le soir de ma rencontre avec Suzanne et du subterfuge qui m'était passé par là tête pour laisser passer mes poursuivants à côté de leur proie ? Ah~... Suzanne. Je ne passe guère de jour sans évoquer Suzanne, ses seins aux larges auréoles beiges, son ventre creux, suspendu comme une tente entre les deux pointes des hanches, son sexe dont le seul souvenir suffit à émouvoir le mien. Aujourd'hui, l'ivoire de ses os, à quels coquillages marins intégré ?

Encore une fois, mon esprit divaguait beaucoup trop et éveillait, malgré moi, quelque chose qui sommeillait plus bas que mon ventre, à l'endroit où j'étais un homme. Il fallait que je me calme, il fallait que je me force à penser autre chose. Réfléchir, éviter Suzanne, ma douce Suzanne, la belle....directrice ?! Pourquoi diable fallait-il que je diverge là dessus à un moment pareil, et surtout dans un tel état.

Comme pour briser le silence qui s'était installer, pour forcer mon esprit à se remettre au garde à vous plutôt qu'à ce qui s'était éveillé en dessous de la ceinture, je me mis à toussoter, mes joues s'empourprèrent, digne de celle d'un pauvre puceau, la fièvre montait doucement, il me fallait une douce chaire froide pour me rafraichir.

Je dus m'y reprendre à deux fois, prenant un mauvais appui contre le mur, pour essayer de me relever et dans un mouvement incertain, j'ai vacillé vers la jeune femme, m'écrasant presque sur ses jambes, la tête mal - bien ?- placée, ma main s'étant retenue à la première chose à portée pour me permettre de me redresser directement.


- Pardon ! Je... décidément...


Ruth Paine

Le rire de l'inconnu surprit la demoiselle. Elle entendait à l'accent qu'il prenait que c'était plutôt un rire nerveux. Il ne dit cependant rien et essaya plutôt de se relever. Ruth voyait l'ombre se mouvoir avec difficulté et gaucherie au point de venir de nouveau s'écraser sur la meurtrière. Sa tête vint s'écrasait sur un de ses seins ce qui lui arracha un petit cri de surprise plus que de douleur.

Une fois debout, l'inconnu s'excusa, confus. A première vue, Ruth se dit qu'il ne devait pas être très souple et sportif pour avoir du mal à se relever. Elle le fit avec facilité malgré ses talons aiguilles d'une hauteur déconcertante. Elle voulait absolument partir de cet endroit, c'était beaucoup trop dangereux de risquer d'avoir un témoin. Elle insista pour partir avec l'homme qui lui avait foncé dedans, surtout que rester ici, pour lui, n'était pas une bonne idée.

- Il faut s'en aller. Surtout pour vous, ces hommes avaient vraiment pas l'air commode et je me fiche de savoir ce que vous leur avez fait mais ils finiront par vous trouver. Alors venez avec moi et allons-nous en.

Son ton s'était fait plus autoritaire et elle avait parlé un peu plus haut pour l'appuyer encore. La situation était plutôt délicate et ce soir elle avait eu sa dose de sang, elle n'avait plus envie d'égorger qui que ce soit même si cette inconnu lui importait peu, pas du tout même. Elle savait qu'elle avait déjà accéléré le rythme et que la police finirait bien par la retrouver car elle aurait fait une quelconque erreur.

Elle avait bien un moyen de brouiller les pistes, peut-être même qu'elle s'arrêterait de tuer, bien qu'elle en doute fort. Ces pensées qui traversaient l'esprit de Ruth à la vitesse de la lumière la ramenèrent à Lucien Morel.

"C'est pas vrai... il faudra qu'il me fiche la paix lui..."

Même si au fond elle n'en avait pas envie. Leurs différentes rencontres s'étaient faites dans des circonstances totalement inattendues et plutôt étranges. Même le simple rendez-vous professionnel s'était transformé en fiasco psychologique. Elle se demandait ce que pensait l'antiquaire de ces choses, il a toujours l'air étrange et un peu absent, comme vivant dans un monde à part. Il la fascinait totalement. Déjà petite fille, les hommes mystérieux la rendaient curieuses. Mais aujourd'hui jeune femme, elle était curieuse mais de beaucoup d'autres choses en plus.

Que cache-t-il derrière son costume aussi antique que les objets peuplant sa boutique ?

Elle secoua la tête et se fut à son tour de toussoter avant de rougir. Il ne fallait pas qu'elle se mette à penser à tout ça maintenant. Décidée à se faire obéir, elle s'empara de la main de l'inconnu et se dirigea vers les pavillons chester plus loin en ville. Elle ne lui demanda pas où il voulait aller, elle avisera quand ils seront sortis des quais.

Lucien Morel
MORTEL - Antiquaire

J'eus à peine le temps de me lever que je fus saisi par la voix de la jeune femme qui se faisait plus forte. L'impression que cette voix m'était familière augmenta elle aussi au ton qu'elle prenait. Puis un petit moment de silence, cela me ramenait d'autres souvenirs liés à cette même voix.

Chaque fois, je l'entendais lointaine et puis dans un sursaut elle m'arrachait à mes pensées avant de laisser retomber le silence... C'était comme avec cette directrice justement. Quand la jeune femme toussota, il n'y eut presque plus aucun doute, juste de la curiosité. Encore une fois, si le silence s'était installé, c'est qu'elle était plongée dans ses pensées, à moins que je ne me trompe complètement de personne.

Lorsqu'elle s'empara de ma main, l'image brève de mon geste à la bibliothèque me revint en mémoire. J'avais eu ce réflexe pour la retenir mais elle, le faisait pour m'entraîner. A la lumière faible des réverbères, j'ai ramené tout le corps auquel était rattachée cette main vers moi, entourant encore une fois cette taille fine de mon autre bras.


- ....A quoi pensiez-vous... ?


Ruth Paine

Un frisson d'une incroyable intensité lui parcourut l'échine. Elle ne savait si c'était dû à sa taille entouré d'un bras masculin alors qu'elle ne s'y attendait pas ou bien au fait qu'elle reconnut la voix, surtout la question. La même voix, la même question, la même personne...

Elle écarquilla les yeux quand à la lueur des réverbères elle vit qui était l'inconnu. Elle resta interdite une dizaine de secondes, les mains posées sur les épaules de l'antiquaire, les yeux aussi parlant que les mots. Puis elle se ressaisit, enfin presque, une fois de plus les mots dépassèrent ses lèvres avant qu'elle n'ait pu les contrôler.

- A vous ...

Sa gorge se serra. Ainsi tenu par le cœur de ses fantasmes, elle sentait une chaleur oppressante la saisir. Son sang bouillonnait alors qu'elle tentait de réguler sa température en inspirant profondément, s'imprégnant de l'air frais de la nuit.

Cependant, irrémédiablement, ses joues rosirent et elle s'en voulait de ne pas pouvoir contrôler son corps qui s'abandonnait à des réactions plutôt gênantes. Elle ne bougea pas, laissant le contrôle à Lucien. De toute façon, elle était paralysée de stupeur et de... désir. Elle réussit cependant articuler :

- Je... Vous... Qu'est-ce que vous faites par ici ?

Elle en avait presque oublié la vilaine meute qui poursuivait l'antiquaire ainsi que le corps qu'elle avait laissé à quelques pas. De sa main elle reprit celle qui était relié au bras qui la retenait.

- Ne restons pas ici, souffla-t-elle. Elle ne réfléchit pas une seconde de plus et se dirigea vers sa maison. Elle avisera devant la porte. Elle ne voulait pas tomber sur les hommes qui poursuivaient Lucien... Lucien... Son esprit commençait encore à divaguer alors qu'elle n'avait jamais été aussi proche que lui. Elle marchait à une telle vitesse qu'elle en courait presque.

Ils arrivèrent dans une rue fréquentée par quelques voitures et taxis. Elle en appela un et s'y engouffra sans laisser le choix à Lucien. Elle le fit monter, le tenant toujours par la main, qu'elle aurait pu lâcher mais elle n'y avait même pas pensé. Elle indiqua l'adresse au chauffeur. Il n'en aura que pour cinq minutes durant lesquelles elle respira pour calmer son émotion et sa course. Elle ferma les yeux pour ne pas les poser sur l'antiquaire à côté d'elle.

Elle ne dit rien, ne voulait pas ouvrir la bouche de peur de dire une bêtise, de se trahir plus qu'elle ne pouvait l'avoir fait aujourd'hui... à deux reprises. Elle se maudit intérieurement mais c'était fait, bien que son cerveau ne fonctionnât plus vraiment puisqu'elle n'y avait encore fois pas réfléchi, il ne devait pas habiter aux pavillons mais au dessus de sa boutique. Tant pis, elle demanda pendant que le taxi pénétrait dans sa rue :

- Vous venez chez moi ?

Plus simple on meurt, elle ne l'invitait pas à boire un verre, le chauffeur aurait pensé "le dernier verre avant de se retrouver au lit". Elle n'en avait jamais partagé un seul avec l'antiquaire. Ils avaient partagé une bougie dans les cryptes, c'est tout. Elle devint aussi pâle qu'un drap blanc, elle réagissait comme une jeune fille de quinze ans qui a son premier rendez-vous...

By Miss Belzy & Gwen Paine

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Un Couple Funeste - Chapitre 3 - Le rendez-vous

Ruth Paine

Ruth faisait les cent pas dans son bureau. Elle était nerveuse à l'idée de revoir ce troublant antiquaire qu'elle avait rencontré dans une crypte après avoir... caché un corps. Elle avait tout d'abord cru devoir le tuer mais il s'était montré coopératif à son insu et en même temps utile puisqu'il restaurait les reliures. Elle avait aussi ressenti quelque chose, comme une attirance perverse envers cet homme si étrange. D'autant plus qu'il lui semblait l'avoir aperçu sous les traits de la Mort le soir d'Halloween. Elle avait égorgé trois adolescents après les avoir... pompés et les avait laissé là. Non loin de l'arbre où elle laissa la Mort comme dans une vision comique d'un film d'horreur. Elle était presque certaine que c'était lui, elle avait ressenti cette même attirance envers la métaphore à la faux.

Elle sentit son estomac se contracter. Elle se mettait dans un état incroyable pour pas grand chose : un rendez-vous d'affaire. Oui mais avec une personne rencontrée deux soirs où elle avait accompli son forfait orgasmique. C'était un signe ! Elle avala un verre d'eau et s'assit dans son fauteuil, il fallait qu'elle ait un air décontracter. Elle se sentait redevenir adolescente et attendre son premier rendez-vous. Elle était idiote, cet homme était antiquaire et il allait soigner ses livres, ses trésors. Elle se remit debout d'un bon et rejoignit le rayon BD. Elle aimait en lire de temps à autre. Elle parcourut des yeux le rayon et s'arrêta sur une illustration de l'Ankou. Elle chassa sans succès de son esprit les images qui lui parvenaient.

***

L'ambiance est rouge sang. Un couteau logé au creux de la cuisse la chatouille à chaque pas. Elle se dirige lentement vers sa future proie. Il l'attend, elle lui avait donné un Rendez-vous. Elle l'embrasse tendrement tout en le collant à elle. Il se laisse faire gentillement, soumis. Elle aime cette réaction et en profite. Elle le fait coucher et se met à genoux au dessus de lui. Elle prends son couteau et colle la froide lame sur son torse dénudé. Il frémit, de peur ou de froid, peu lui importe, cela lui paît. Elle enfonce légèrement la pointe dans la peau. Il sursaute à cause du picotement. Elle avance sa langue et lèche la goutte de sang qui perle...

***

- Mademoiselle Paine ?

Ruth sursauta, surprise dans ses pensées interdites. Son bas-ventre était empli d'une douce chaleur.

-Qu'y-a-t-il ?
-Votre rendez-vous est là.

Ruth regarda l'employé d'abord sans comprendre. Appeler quelqu'un un "rendez-vous" est assez malpoli selon la directrice mais elle laissa passer et se dirigea vers son bureau... vers son fantasme...

Lucien Morel

Alors voici donc la grande bibliothèque. Jamais je n'avais pris la peine de jeter un œil à l'intérieur, non pas par manque de temps, ni par manque de motivation, simplement parce que je n'avais jamais pris la peine de me rendre jusque là lors de mes rares sorties. Il m'était déjà arrivé d'apercevoir la façade de loin sans m'attarder dans les environs.

Maintenant j'y avais été invité, c'était différent, c'était... pour le travail. La rencontre avec la directrice était peu banale, une rencontre nocturne sous l'orage, protégé par les murs humides des cryptes. Je ne m'attendais pas à y croiser quelqu'un, j'y étais allé pour profiter de l'orage qui approchait en restant en sécurité, pour admirer l'œuvre bâclée dont on m'avait parlé et me laisser aller à mes rêveries habituelles.

Et puis la jeune femme est arrivée, me sortant de mes songes funèbres, je n'ai même pas cru à une nouvelle vision, elle ne ressemblait pas aux femmes que je voyais en rêve, elle était bien différente mais pas moins plaisante. Je suis encore surpris de l'attirance que j'avais pu éprouver, je ne comprend toujours pas d'ailleurs. Peut-être était-ce pour ça aussi que j'avais accepté ce rendez-vous. Je devais la revoir, vérifier que ce n'était pas un mauvais tour de l'instant, le résultat de l'ambiance des lieux.

Ici c'était un endroit public des plus communs, bien que, presque aussi calme que les cryptes car, dans les bibliothèque, le silence doit régner. Ce n'est pas la directrice qui m'accueille à mon arrivée, elle doit sans doute être entourée de paperasse dans un bureau du fond d'où elle peut tout surveiller. Mais non, lorsque l'on me fait entrer dans le bureau, celui-ci est vide de toute présence vivante, le silence règne toujours et c'est loin d'être dérangeant.

Le silence se brise avec la voix de la personne qui m'a accompagné jusque-là.

- Veuillez patienter un instant, elle ne devrait pas tarder.

Que pourrais-je faire d'autre ? Je reste sagement entre l'entrée de la pièce et le bureau, j'attends, je voudrais voir maintenant comment sera l'image de la demoiselle féline que j'avais gardé en mémoire. Celle qui portait une tenue très prêt du corps et qui reflétait dans de sombres lueurs la clarté d'une petite bougie. Ou encore celle qui ne cessait de se mouvoir de façon provocante sous les feux des projecteurs lors d'un concert trop bruyant à mon goût. Je voulais voir la directrice dans l'habit de sa profession, derrière son masque de professionnalisme. Petit à petit, je me surpris à vouloir découvrir d'autres facettes de Mademoiselle Ruth Paine, ou Ruth, tout simplement.

Ruth Painel

Elle ouvrit la porte un peu trop brusquement à son goût, laissant transparaître un empressement gênant. Elle espérait que Lucien Morel n'aie rien remarqué. Il l'attendait bien sagement juste derrière la porte. Elle le regarda un court instant, un peu interdite. Elle avait eu du mal à s'arracher de ses pensées macabres. Elle sembla se réveiller soudain et un sourire vint illuminer son visage.

- Bonjour M. Morel ! Je vous prie de m'excuser de vous avoir fait attendre.

Elle était toujours troublée par cette présence si étrange et ses idées malsaines revenaient en vagues de plus en plus puissantes. Ce soir, elle devra tuer. Il faut qu'elle se contrôle, depuis qu'elle l'a rencontré, elle tue plus. Cela risque d'avertir la police. Elle respira intérieurement, une bouffée d'air virtuelle monta à son cerveau pour se calmer. D'extérieur, elle avait simplement un peu rougie, notamment parce qu'elle s'était dépêchée.

- Je vous propose de descendre au sous-sol. Les livres en question y sont entreposés. Je souhaite vous les montrer avant d'aborder la question des contrats. Pour avoir votre avis et voir si vous êtes toujours d'accord.

Elle allait le conduire dans son antre, son endroit préféré, où elle pouvait se perdre dans la lecture d'ouvrage qui sentait la poussière et l'âge. Elle pouvait tourner les pages jaunies, entendre les froissements délicats du papiers, toucher la matière rugueuse, sentir couler le grain sous ses doigts. C'était presque aussi bon que d'enfoncer un couteau dans de la chair. Elle frissonna légèrement et invita Lucien à la suivre.

Comme il devait passer devant des salles de recherches, car la Grande Bibliothèque était aussi un centre de recherche en linguistique, elle expliqua que les chercheurs travaillaient actuellement sur les textes des quelques manuscrits de la Mer Morte récemment retrouvés, et qu'ils butaient dessus. Ils arrivèrent à l'escalier et quelques marches plus loin, une dizaine de livres les attendaient, posés sur une table.

Lucien Morel


A l'ouverture un peu brutale de la porte, je me suis tourné vers celle-ci, la mine interrogative. D'où lui venait cet empressement soudain ? La crainte d'avoir du retard peut-être, de m'avoir fait attendre quelques minutes de plus ? Il n'en était rien pourtant, tout deux, nous étions à la bonne heure.

- Je n'ai pas attendu longtemps.

La jeune femme semblait distraite, elle réagissait souvent comme ça à chacune de nos rencontre, même sans être certaine de qui se trouvait devant elle. Comme à cette soirée d'Halloween. Elle avait pris des couleurs, une teinte rosée s'accentuait doucement sur ses pommettes, changeant sa mine pâle en petit visage de poupée de porcelaine trop maquillée. Elle n'en restait pas moins agréable à regarder.

Sa voix calme m'arracha à nouveau à mes pensées tout en douceur. Elle me rappela alors la raison de ma présence ici qui avait faillie m'échapper un instant. Je me contentai d'acquiescer à son invitation dans les sous-sols pour voir les ouvrages dont il était question.

Tout en accompagnant la jeune femme, j'écoutai d'une oreille ce qu'elle avait à me dire sur les recherches qu'ils effectuaient en ce moment, tout en me concentrant sur ce qui m'entourait. Et puis, nous arrivâmes enfin dans la pièce du sous sol qui renfermait les ouvrages mis en quarantaine pour qu'ils ne soient pas d'avantage victime du temps auprès de leurs confrères.

Mon rôle ici serait de leur offrir une seconde jeunesse sans altérer la valeur que leur avait donné les années. Je me suis approché de la table pour laisser glisser ma main sur le premier livre qui se présentait à moi, dans des gestes
minutieux et d'une lenteur calculée, j'ai pris celui-ci entre mes mains et ce fut comme si je me retrouvais seul dans un tout autre monde. Avec soin, j'ai découvert ce que cachait la couverture pour voir l'étendue du travail qui m'attendait, j'ai parcouru les reliures du bout des doigts pour voir comment je devrais m'y prendre. Cela ne me demanderait qu'une nuit de travail si je ne m'occupais de rien d'autre, tout au plus. Tout à mon observation, j'en oubliais presque la directrice présente à mes côtés.


Ruth Paine

Elle sentait la nervosité gagnait peu à peu ses traits. Elle sentait aussi que Lucien avait perçu un comportement étrange, notamment au soir d'Halloween, elle pensait que c'était lui mais elle n'en était pas sûre et, à la vérité, elle ne préférait pas en reparler de peur de se trahir. Elle avait l'impression que l'antiquaire était un danger pour elle, sans en connaître la raison, il la fascinait et c'était vraiment dangereux.

Elle sentait qu'elle continuait de rougir, alors qu'il n'y avait plus vraiment de raison. Elle toussa pour avoir un prétexte de prendre une grande inspiration mais s'aperçut bien vite que M. Morel était occupé à autre chose que d'observer ses joues rosies. Il semblait totalement fasciné par le livre qu'il tenait, comme s'il était entré dans un monde dès qu'il eût touché l'ouvrage. Elle se prit à le fixer, encore et toujours fascinée par cette présence troublante, un léger sourire s'afficha même. Elle sursauta toute seule.

*Il va me prendre pour une folle.*


- Je ...

*Trouve quelque chose à dire espèce de cruche, arrête de bafouiller sale outre.*
*Ca suffit toi et tes urnes.*


- Visiblement vous êtes dans votre élément, même un aveugle le verrait. Quel est votre diagnostic ? Pour combien de temps vous en aurez à votre avis ? Et quels sont vos honoraires ?

*Arrêtes de parler et de dire des conneries la jarre, c'est pas un médecin.*
*C'était une métaphore.*


Si une troisième Ruth observait le spectacle, elle en déduirait que la vrai Ruth était schizophrène, mais il n'en était rien, elle avait l'habitude de se parler à elle-même. Quoiqu'il en soit, si Lucien ne s'était pas aperçu avant qu'elle était nerveuse, il n'a pas pu le louper. Elle se maudit avant de regarder le plus calmement possible son invité et de lui dire.

- Excusez-moi, je suis un peu nerveuse. Beaucoup de travail et l'espoir de pouvoir afficher la merveille que vous tenez dans les mains.

Elle sourit d'un air gêné, elle sentait qu'elle perdait totalement ses moyens face à l'homme au cœur de tous ses fantasmes. Elle se mordit la langue pour ne pas retourner dans ses délires macabres et attendit une réponse de Lucien quant aux questions posées un peu précipitamment, un peu trop précipitamment.

Lucien Morel

La voix de la jeune femme m'interrompit encore dans mes contemplations. Un "je" hésitant. J'ai tourné la tête vers la jeune directrice en attendant la suite qui ne venait pas. Peut-être l'hésitation de me distraire dans mon observation. J'ai alors consulté les autres ouvrages pour me rendre compte de l'état de la reliure de chacun. La jeune femme se mit alors à parler avec moins d"hésitation, peut-être même un peu de précipitation, je mettais ça sur le compte de l'impatience de voir ces ouvrages retourner parmi les leurs.

- Pour être franc, ce ne sont pas vraiment les livres en eux-même mais l'ouvrage de la reliure qui m'intéresse. Après observation, je pense que je devrais en avoir pour quelque jours si l'on me laisse le temps de me concentrer sur ce travail. Pour ce qui est des honoraires je vous demanderai juste de quoi me procurer le matériel nécessaire.
J'ai reposé les ouvrages, que je tenais encore, soigneusement sur la table avec les autres et je me suis tourné vers la directrice. Je m'apprêtais à lui demander si tout allait bien, elle ne m'avait jamais paru si troublé. En même temps, ce n'était que notre troisième rencontre, la seconde même pour elle, et, je dois bien l'avouer, nos rencontre avaient toujours été plutôt particulières jusqu'ici.

Je n'eus pas le temps de poser ma question qu'elle me rassura d'emblée sur son état en s'excusant. Je me suis légèrement approché pour l'observer.


- Il n'y a pas de raison d'être nerveuse, les dommages qu'ont causé le temps sur ces ouvrages sont loin d'être irréparables, vous pourrez bientôt offrir la chance à d'autre personnes de pouvoir les contempler.

J'ai à nouveau regarder les livres sur la table.

- Deux nuits tout au plus, je suis toujours plus performant une fois la nuit tombée. Mais je préfère ne pas m'avancer et vous dire que vous les aurez sans faute avant la fin de la semaine.


Ruth Paine

La directrice resta interdite l'espace de trois secondes avant d'afficher un sourire on ne peut plus satisfait. Lucien n'avait rien remarqué ou du moins il s'en cachait bien et en plus il allait pouvoir faire le travail en un temps record, Ruth ne pouvait espérer mieux. Ses yeux brillèrent de satisfaction et un soupir significatif la surprit elle-même. Il faut dire que Ruth ne vivait que pour deux choses, ses livres et ses victimes, sans les uns comme sans les autres elle n'était rien.

- C'était inespéré. Si vous saviez combien de temps j'ai cherché quelqu'un comme vous mais personne ne voulait se déplacer jusqu'ici. Je vais faire préparer de quoi les emballer pour le confort du voyage, même court, et nous les livrerons à votre boutique dès qu'il vous sierra. Si vous voulez bien me suivre pour régler les modalités administratives.

Pendant ce temps là, son esprit fonctionnait à plein régime, elle ne pouvait s'en empêcher, elle avait laissé son imagination reprendre le dessus. Il la hantait depuis leur première rencontre, depuis Halloween et cette sensation de l'avoir vu sous les traits de la Mort. Il l'attirait aussi sûrement qu'elle tuait par besoin et non pas par plaisir, même si l'un et l'autre se rejoignaient au final, de même qu'elle lisait compulsivement. Ils n'avaient pas encore pris le chemin du bureau mais les flashs macabres étaient rapides, à peine quelques secondes. Elle essayait de chasser cette image où le rouge dominait largement, rouge sang, rouge passion les deux étaient si liés que Ruth ne faisait pas la différence.

Elle se voyait profiter de lui, un peu plus longtemps que pour les autres, profitait de sa présence si troublante mais inexorablement le couteau fatal se rapprochait de la gorge blanche de la colombe et sa robe de plume se colorait de rouge jusqu'à ce que la dernière goutte soit sortie de la chair.

Un signe quasi imperceptible pouvait la trahir pour tout comportementaliste exercé : sa mâchoire s'était légèrement contracté.

- Bon en route, à moins que vous ne souhaitiez rester un peu avec ces livres.


Ce qu'elle comprendrait parfaitement puisqu'elle-même avait besoin de passer du temps avec certains livres pour mieux les connaître, aussi étrange que cela puisse paraître.

Lucien Morel

On prétend toujours que ceux qui aiment les morts sont frappés d'anosmie. Pour moi, il n'en est rien et mon nez perçoit vivement les odeurs les plus diverses, même si, comme tout le monde, je suis accoutumé à celle de mon entourage au point de ne la plus sentir. Il se peut en effet que l'odeur du bombyx imprègne tout mon appartement, sans que j'en sache rien.

Ici, l'odeur dominante que je percevais, c'était celle des vieux livres qui trônaient en ce moment sur la table, un mélange de poussière, de papier vieilli, de cuir qui ornait les couvertures. Mais je percevais autre chose encore et je me surpris à essayer de faire en sorte que ce soit cette odeur là, qui domine celle du vieux livre. Pour se faire, je me suis rapproché sans trop m'en rendre compte de la jeune directrice, humant discrètement l'air qui l'entourait. C'était son parfum, sans aucun autre artifice pour la couvrir. Pas de parfum agressif ou doux, pas d'huile ou de baume pour masquer l'odeur naturelle de sa peau.

Cette fois encore -ce qui était rare lorsque j'étais accompagné- mon imagination débordait et me laissa rêver éveillé. La voix de la jeune femme me semblait proche et lointaine à la fois, j'écoutais sans l'entendre vraiment, du moins je n'arrivais pas à détacher les mots qu'elle prononçait. Habituellement je n'aimais pas trop parler avec les gens, une légère tare dans mon métier où j'ai besoin d'un contact avec certains clients.

A l'entendre soupirer, des souvenirs m'étaient revenus, si agréablement. Mais à la place, c'est elle que je voyais allongée dans ma chambre. Je me perdis donc un moment dans mes souvenirs transformés, laissant une ou deux minutes s'écouler dans un silence presque pesant, des minutes qui me parurent plus longue mais comme toujours pas assez
.


~ ...
Cette nuit, alors que je m'apprêtais à envelopper la jeune femme pour l'abandonner dans les flots à contre cœur, comme j'ai coutume de le faire, elle a soudain poussé un soupir désespéré, douloureux, prolongé, sifflant entre ses dents, comme si elle eût éprouvé quelque intolérable chagrin de son prochain abandon. Une immense pitié m'a serré le cœur. Ainsi n'avais-je pas rendu justice au charme humble et revêche de cette demoiselle. Je me jetai sur elle, et la couvrit de baisers, repentant comme un amant infidèle. J'allai chercher une brosse dans la salle de bain et j'entrepris de coiffer ses cheveux devenus ternes et cassants, je frottai son corps avec des essences, des parfums. Et je ne sais combien de fois j'ai aimé cette jeune femme, jusqu'à ce que le jour blanchisse la fenêtre derrière les rideaux tirés
... ~

Ce n'est qu'une fois que ma main entra en contact avec les cheveux de la jeune femme pour de vrai que je repris mes esprits. Je m'étais rapproché d'elle sans avoir gardé l'impression d'avoir bougé, mon corps avait agit de lui même l'espace d'un instant, ce court instant où je revivais, plongé au plus profond de mon inconscient, ces instants de rêves avec, non pas ma maîtresse de l'époque, mais la jeune femme devant qui je me trouvais à présent. Ces instant avant la douloureuse séparation.

Il me fallait trouver une explication à mon geste et rapidement, une chaleur douce et significative envahissait mes joues à cet instant, j'avais soudain pris quelques couleurs en me rendant compte de mon geste, très peu car je ne suis pas homme à rougir facilement. Ce qui me dérangeait le plus, à cet instant, se trouvait au niveau de l'endroit où j'étais un homme et ce n'était pas la première fois que cette femme, aussi vivante soit-elle, provoquait ce genre de réaction chez moi.

Sans pouvoir affronter le regard que la jeune femme pouvait porter sur moi, j'ai passé brièvement ma main sur l'une de ses mèches avant de l'éloigner en ayant dans l'idée de m'écarter tout court par la même occasion pour élargir l'espace entre nos deux personnes, sans y parvenir ou à la lenteur d'un escargot, faisant mine de me débarrasser d'une quelconque poussière imaginaire.


- Veuillez m'excuser. Vous aviez quelque chose dans les cheveux.

Pure mensonge, mais il me fallait trouver une parade à mon geste déplacé. L'ennui restait, que j'avais toujours été incapable de mentir. Le regard fuyant, je me suis tourné vers la table pour donner l'apparence que je me concentrais à nouveau sur les ouvrages.


Ruth Paine

Ruth afficha un regard surpris quand Lucien glissa sa main dans ses cheveux. Il n'avait pas répondu et Ruth pensait qu'il était perdu dans ses pensées, cela lui parut donc bizarre qu'il est vu quelque chose dans sa chevelure noire d'autant plus que la pièce est sombre. Ajouté à cela un regard fuyant, le jeune femme était plus que perspicace mais elle laissa couler le geste, qui au final ne la dérangeait pas du tout et afficha un sourire rassurant.

- Merci, dit-elle simplement en réponse à son mensonge effronté.

Elle l'observa quelques secondes de plus, se demandant pourquoi les deux rencontres véritables et celle supposée étaient si étranges et pourquoi à chaque fois elle avait ce chatouillement au bas du ventre qui ne la prenait vraiment que quand elle entendait la lame du couteau frotter contre son fourreau, annonciateur d'un orgasme proche quand la lame pénètre en douceur dans la fine chair du cou. Elle frissonna de nouveau, elle allait de nouveau laisser son imagination prendre le dessus et elle n'aurait plus qu'une envie, se jeter sauvagement sur l'antiquaire pour lui faire sa fête.

Elle se racla la gorge pour se réveiller mais c'était difficile, vraiment difficile. Il avait la peau si pâle, le grain de peau si fin qu'elle avait du mal à ne pas le fixer. Ca ne se faisait pas mais elle se comportait toujours bizarrement en la compagnie de Lucien. Elle toussa de nouveau et réussit à dire :

- Allons dans mon bureau pour s'occuper des papiers, pendant ce temps, je vais demander à ce qu'on emballe les livres.

Elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit laissant entrer un tel flot de lumière qu'elle s'en sentit mal. Elle cligna des yeux puis regarda dans la pièce plus sombre pour voir un Lucien tout auréolé, elle ne s'en sentit que plus mal. Ce soir elle tuerait.

Lucien Morel

Le malaise s'installait de plus en plus alors que la jeune femme continuait à m'observer, je baissai les yeux sur les livres qui étaient mon excuse pour ne pas avoir à croiser son regard.

Comme moi, elle semblait sujet à l'inattention, elle se laissait facilement allez dans ses pensées sans voir le temps s'écouler, ça je l'avais bien remarqué, c'était une sale habitude dont je n'arrivais pas à me débarrasser moi non plus.

A quoi pouvait-elle bien penser aussi intensément, j'avais de plus en plus envie de le savoir, est-ce que c'était moi ou bien était-elle toujours ainsi, difficile à dire, alors que nous ne nous étions rencontré que deux fois, du moins officiellement. Une grand curiosité m'envahit soudain. Je voulais vraiment savoir.

Aussi, je sursautai légèrement quand elle se racla la gorge et fit comme elle par réflexe quand elle se mit à toussoter. Je n'avais pas bien suivi ce qu'elle me disait ensuite, j'étais encore dans la surprise de ce grand sentiment qui m'envahissait, de cette envie soudaine de savoir alors que jusqu'ici, je ne m'étais jamais intéressé à ce que pouvaient penser les gens.

Je fus surpris par le flot de lumière qui envahissait soudain la pièce, je n'avais pas vu qu'elle ouvrait déjà la porte. Avant qu'elle ne passe le pas de la porte, un geste qui m'avait laissé interdit un instant, précéda même ma volonté. Je tenais dans ma main, l'un des frêles poignets pâle de la directrice, je m'étais rapproché en un instant, sans avoir le temps de comprendre. Je l'avais retenue par ce simple geste. Pourquoi ?

L'idée ne me vint que quelques seconde après, mes mots dépassaient encore une fois ma pensée.


- A quoi pensiez vous ?

Une simple geste, une simple question. Un comportement inhabituel de ma part. Je ne comprenais toujours pas, mais de toute façon l'affaire était faite. Les mots s'étaient glissé sur mes lèvres avant même que je n'ai le temps de les penser, ma main la retenait toujours, sans forcer et mon regard était plongé dans le sien cette fois..


Ruth Paine

La situation devenait de plus en plus troublante et compliquée. Le cerveau de Ruth analysait tout à mille à l'heure et s'en suivrait bientôt une migraine comme elle pouvait en connaître les jours de crise. Et aujourd'hui, c'était un jour de crise. Lucien la mettait dans des états seconds complètement dangereux pour elle comme pour lui et elle ne voulait surtout pas, pas maintenant du moins, nuire à l'antiquaire. Elle savait qu'elle commençait à commettre des erreurs à cause de lui et que le plus sûr serait simplement de l'éliminer après avoir assouvi son fantasme mais quelque chose l'en empêchait, elle qui d'habitude n'avait aucun scrupule, l'idée de tuer Lucien la révulsait totalement tout en laissant des images sanglantes au fin fond de sa tête.

Il lui prit le poignet. Comme elle était un peu aveuglée, elle ne l'avait pas vu arriver et sursauta en le sentant. Elle allait lui demander ce qu'il faisait quand il lui demande à quoi elle pensait. Cette question l'interpella tellement qu'elle devait avoir une expression surprise, elle qui normalement essaie de garder un visage neutre. Elle se sentit piégée comme un petit animal, ou comme un enfant pris en faute. Elle le regarda, les yeux écarquillés avant de se ressaisir. Elle ne savait pas encore ce qu'elle allait répondre, puis il lui vint une idée grotesque mais elle dépassa ses lèvres avant qu'elle n'ai eu le temps d'envoyer le signal nerveux à son cerveau : tais toi !

- A vous. Et vous à quoi pensiez-vous ?

Elle le regardait droit dans les yeux, pas vraiment effrayé par ce qu'elle venait de répondre mais plutôt surprise par elle-même. Elle entrait dans un terrain totalement glissant et incontrôlé et bizarrement, cela lui plaisait. Mais elle allait commettre des erreurs et inexorablement la police la retrouverait ...

Lucien Morel

A ma surprise -que j'arrivais parfaitement à cacher-. Elle n'essaya pas de se défaire et je n'avais pas songé à la lâcher. Je fus content de pouvoir enfin voir une expression se dessiner sur son visage, même si le mien restait impassible, ce n'était qu'un apparence. Ce simple geste, le simple fait de pouvoir toucher une peau qui n'était pas froide. Le simple fait de me rendre compte qu'elle avait pu sentir mon geste et qu'elle y avait réagit.

Je n'arrivais, ni à décrire, ni à comprendre le ressenti que cela m'apportait, ça n'avait rien de désagréable mais en même temps, je restais persuadé que ça pouvait être encore mieux. Je n'avais jamais pris la peine d'avoir le moindre contact avec les vivants, il m'était déjà arrivé de distribuer quelques poignées de mains à la clientèle mais seulement quand on me la tendait. Cette fois c'est moi qui avais agi le premier.

Sans la quitter des yeux, toujours impassible, j'étais plus attentif à sa voix cette fois. Mais je ne comprenais pas.


- Quel est l'intérêt de penser à moi, si je suis juste devant vous ?

J'ai doucement défait ma prise sur son poignet en regardant vers celui-ci et vers ma main qui le tenait, l'idée de mon geste pour la retenir restait encore flou, le pourquoi, le comment, mais quelle importance. Je n'ai pas réfléchis longtemps avant de répondre à la question qu'elle m'avait retourné.

- J'étais plongé dans certains souvenirs, cela m'arrive de temps en temps. Je suis quelqu'un de distrait et je me rattache un peu trop souvent aux choses passées. Rien de bien intéressant.

Sur ces mots, je suis passé à côté d'elle dans l'idée de sortir de la pièce le premier, pourquoi ? Alors qu'elle était sur son territoire et que je ne retrouverais sans doute même pas le chemin de son bureau tout seul. Est-ce que je fuyais ? Y aurait-il une raison à cela ? Depuis quand me posais-je autant de questions...


Ruth Paine

Ruth, qui d'habitude adorait cette pièce, se sentit soudain oppressée, comme si elle manquait d'air. Un poids à l'estomac se faisait de plus en plus pesant et présent et elle savait que Lucien en était la cause unique. Il la rendait totalement folle, il fallait le dire, enfin, plus folle que d'habitude, puisque, socialement parlant, tuer les gens comme on mange des pommes était être fou. Ruth assouvissait un besoin comme celui de manger.

En tout les cas, que Lucien prenne l'initiative de sortir semblait la libérer, aussi bizarre que cela puisse paraître. Elle en avait presque oublié ce que l'antiquaire venait de dire. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre à sa question et préféra se taire plutôt que de s'enfoncer un peu plus. Cependant il répondit à la sienne de manière à inspirer une sortie inespéré à la demoiselle.

- Oui, je suis pareil, je ne pensais pas à vous dans le moment présent mais je me rappelais notre rencontre dans la crypte.


Elle sourit et passa devant Lucien sans plus de cérémonie. Ils refirent le trajet inverse vers le bureau dans un silence quasi religieux et Ruth en était gênée. Elle ne savait vraiment plus quoi penser de cet homme, de leurs rencontres, de leurs dialogues et de leurs réactions. Elle se demandait qui était cet homme, qu'est-ce qu'il cachait sous ses traits impassibles et son intelligence évidente. Sans savoir pourquoi, Ruth sentait en Lucien un alter égo, elle ne savait d'où lui venait cet impression.

Ils arrivèrent devant la porte d'un bureau que Ruth ouvrit mais resta à la porte. Elle dit en quelques mots à la personne à l'intérieur d'aller préparer les livres pour leur transfert chez l'antiquaire. Quelques brèves paroles plus tard ils repartaient pour quelques pas vers le bureau de la directrice. Elle en ouvrit la porte en laissant le passage à Lucien.

- La partie la moins intéressante est devant nous, dit-elle pour détendre l'atmosphère.

Lorsqu'ils furent tous deux dans le bureau, elle ferma la porte et invita l'antiquaire à s'asseoir. Elle alla elle-même s'installer dans son fauteuil de bureau et se massa légèrement les tempes avant de prendre un tas de papier.

- J'ai préparé une convention basique pour se mettre en accord sur le contrat. Il y aussi le contrat en lui-même, cependant il n'est pas rempli, je dois savoir combien vous souhaitez être payer pour votre travail. Et enfin les papiers d'assurance. Si vous avez besoin de temps pour y réfléchir, ce n'est pas un soucis. Mais on peut déjà lire ces différents papiers, quoique l'assurance ce ne soit pas la peine, vous devez signer pour qu'on est la pleine charge en cas de dégâts. Le reste fait à peu près cinq pages.

Elle plissa les yeux, la migraine guettait et n'allait pas tarder à passer à l'attaque et à ce moment précis, Ruth avait l'envie de rentrer chez elle et de se fourrer sous sa couette. Le flash qui accompagna sa pensée était inattendu et surprenant : elle voyait Lucien l'attendre, endormi dans son lit. A cet instant précis la migraine explosa et le champ de vision de la directrice se tacha de petites mouches noires.

Lucien Morel

J'ai suivi la directrice jusqu'à son bureau, reprenant doucement le contrôle sur mon corps qui ne s'était -heureusement- pas trop fait remarqué. Je pris les devants pour suivre son invitation et me suis installé. Je n'étais pas spécialement habitué à la paperasse, les rares clients qui me demandaient de restaurer une œuvre, se fiaient quasiment entièrement à mon expérience mais pour les œuvres qui appartenaient à une bibliothèque public, ce n'était pas la même chose.

J'ai parcouru les documents sans manquer le moindre mot, concentré et plongé dans ma lecture, mes yeux filaient sur les lignes, ma main tournait les pages. J'étais comme seul avec les document dans la pièce, jusqu'à se que ma bonne main attrape un stylo pour signer d'un geste assuré, j'ai ensuite tout fait glissé en direction de la directrice.


- Tout cela me semble correct..

Je ne voulais plus rester, ou plutôt, je ne pouvais plus. La pause était terminée, dieu que le temps file quand je ne suis pas entouré de toutes mes vieilleries dans cette boutique sombre. Doucement je me suis levé, légèrement incliné pour saluer la jeune directrice. Je me suis assuré de l'implacabilité de mon costume par habitude avant de me tourner vers la porte. Il n'était pas nécessaire de me raccompagner, je connaissais le chemin à présent.

- Je vous laisse donc vous charger du reste pour le transport des livres jusqu'à mon lieu de travail. Bonne continuation à vous Miss Paine.

Je repris donc le chemin de la sortie sans me retourner, le pas plus accéléré que je ne l'avais prévu, pourtant il me restait du temps avant la réouverture. Un simple signe de main pendant que l'autre attrapait la poignée et j'avais déjà disparu derrière la porte, restant un instant appuyé contre celle-ci, respirant un bon coup avant de sortir de la bibliothèque pour rentrer.


Ruth Paine

Le temps avait passé vite jusqu'à ce qu'ils entament la partie papier. Certes Lucien devait tout lire mais Ruth ne savait pas quoi faire en attendant. Elle ne voulait pas le regarder de peur de voir son esprit s'égarer de nouveau tandis que l'implacable désir s'annonçait de plus en plus difficile à contrôler. Pour éviter tout chute dramatique pour son esprit, elle se saisit d'un tas de feuilles sur lesquelles elle apposa un tampon puis une signature. Cette tâche l'occupa jusqu'à ce que M.Morel prit un stylo et signa les papiers.

- On fait comme ça ! Les livres arriveront chez vous dans quelques heures.

A peine lui eut-elle répondu qu'il avait déjà passé la porte. Un peu surprise par tant d'empressement et un peu soulagée de se retrouver quelques minutes, Ruth alla ouvrir la fenêtre et prit une grande bouffée d'air frais pour se rafraîchir, l'esprit, le cerveau et le reste. Il fallait bien avouer que ça bouillonnait plus bas avec quelques réactions purement féminines dues à une grande excitation.

La frustration s'ensuivit directement. L'image de se jeter sauvagement sur l'antiquaire restait gravée comme visible à chaque instant devant ses yeux.

Elle se rassit brusquement sur sa chaise et se saisit de son couteau. Elle le contempla avant d'appliquer le plat de la lame contre son front. Elle frissonna au contact froid du métal et cela lui fit un bien fou. Elle regarda l'horloge et décida qu'il fallait faire une sieste. Elle était fatiguée de tant d'émotion...

By Miss Belzy & Gwen Paine

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Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. Uniquement les textes Ruth Paine.

Un Couple Funeste - Chapitre 2 - Le temps d'un concert

Ruth Paine


La fête d'Halloween est l'une des meilleures occasions pour se faire plaisir. Ruth s'habilla en ce qui pouvait être un costume mais qui était une tenue dont elle aimait s'habiller pour l'occasion du mois. Ce soir était parfait pour ça. Et le challenge en serait plus qu'intéressant puisqu'il y aura du monde et peut-être des gens qu'elle connaissait. Elle souriait, heureuse à l'idée d'aller s'amuser. Elle enfila donc sa tenue de cuir noir brillant, ainsi qu'un masque semblable à celui de Catwoman. Elle parfit son costume en ajoutant des griffes aiguisées au bout de ses doigts et s'empara d'un fouet qu'elle accrocha à sa ceinture.

Ainsi accoutrée, elle se dirigea vers le lieu de fête. Ses formes roulaient dans son costume attirant les regard masculin comme d'habitude. La Catwoman se dirigea vers le bar et demanda un verre de vodka. Elle s'accouda à une table et but tranquillement tout en écoutant la musique. Elle adorait ces ambiances festives et aussi quelque peu effrayante en cette occasion. C'était le soir parfait. Ses griffes tapaient la table en rythme et elle observait la faune comme à son habitude.

*Homme... ou femme ? Avec qui vais-je me faire plaisir ? Hum... Il y aura bien quelqu'un qui va venir m'aborder...*

Cela ne manqua pas, à peine quelques minutes plus tard, un jeune homme d'une vingtaine d'années, déjà bien imbibé, vint accoster Catwoman avec des amis. Ruth frissonna de plaisir en voyant leurs jolis minois.

*Plusieurs ? Ca pourrait être intéressant...*

Ses griffes arrêtèrent leur manège rythmique tandis que le jeune inconscient vint parler à la demoiselle.

- Salut p'tite chatte... Mes copains et moi on te trouve... si... féline...

Il avait un sens de l'humour assez remarquablement pitoyable mais bizarrement cela fit rire la bibliothécaire qui reconnaissait ces étudiants. Elle finit sa phrase sur un ton provocateur et langoureux.

- ... que l'idée que je vous accompagne dans un coin tranquille vous serez délicieuse.

Ils étaient trois, de quoi rendre Ruth folle de bonheur. Elle les regarda, ses yeux noirs se mariant magnifiquement avec son costume. Elle leur sourit et ajouta aux trois étudiants bien foutus.

- Suivez-moi, je vais m'occuper de vous. Les chattes adorent jouer avec ses proies.

Les trois étudiants hallucinaient mais ne purent refuser une telle opportunité. Catwoman les emmena 500 mètres plus loin dans un coin tranquille.

- Bien bien bien... qui commence ?

Ils se regardèrent en souriant et celui qui avait parlé s'avança. Il n'avait pas besoin de stimulant. Ruth s'empara très doucement de son fouet et attacha les mains de sa proie tout en jouant de petit toucher pour qu'il ne s'enfuie pas.

- Vous m'excuserez les garçons, vous allez nous entendre mais pas nous voir, c'est mieux pour l'imagination.

Elle leur fit un clin d'oeil.

- Je reviens m'occuper de vous après.

Elle tira sa première future victime dans un buisson et la fit s'allonger. Il se laissa faire, heureux comme un diable. Ses mains étant bloquées, il ne pouvait rien faire, ce qui ne lui déplaisait pas semble-t-il. Ruth déboutonna très doucement le pantalon de l'étudiant et couvrit son sexe d'un préservatif.

- Tu veux pas te déshabiller p'tite tigresse ? J'en profiterai un peu plus...
- Chuuuuuut... Tu vas apprécier t'inquiète pas...

Son ton était menaçant et coulant. Ses yeux lançaient des éclairs de fureur. Elle se pencha vers l'entrejambe et avant qu'il n'est pu dire ouf, le préservatif se remplit. Ruth se tourna ensuite vers son cou et y déposa une griffe non loin de la jugulaire tandis qu'il était encore sous le choc de l'orgasme. La meurtrière laissa échapper un gémissement de jouissance quand elle lui trancha l'artère. Son sang se répandit à terre et tandis qu'elle récupérait le préservatif pour le mettre dans un petit plastique, elle se releva et se dirigea vers les deux autres proies.

- Il se repose. Que dites-vous si je m'occupe de vous en même temps ?

Ils se regardèrent en souriant à pleines dents et suivirent leur bourreau.

***

Catwoman dansait allègre devant la scène, heureuse comme une princesse. Elle envoyait balader chaque inconnu qui la désirait ou qui souhaitait seulement s'en faire une amie. Elle espérait rencontrer Lucien au fond d'elle, depuis la crypte et cette petite frayeur qu'il lui avait faite, elle se disait qu'après avoir tuer, le voir était en quelque sorte le point final, ou peut-être simplement la suite. Elle ressentait en lui le même amour de la mort qu'elle sans qu'elle n'est décelé le moindre désir de la donner en lui. Mais, si quelqu'un était en sécurité vis à vis d'elle c'était lui. Elle sourit en se rappelant la crypte et se déchaîna un peu plus sur la piste de danse...

Lucien Morel

J'étais dissimulé par mon costume et ça me plaisait comme ça. Personne n'aurait pu me reconnaitre, couvert d'un long manteau en cape noir, muni d'une large capuche tout aussi noir qui me couvrait la tête jusqu'à la moitié du visage. Visage lui, dissimulé sous un masque à l'effigie de la mort. J'étais encombré par le dernier accessoire de mon déguisement, une faux artificielle plus haute que moi et au sommet de son manche une lame en plastique tout aussi large que moi.

Pour un jour j'avais revêtu l'apparence de la Mort, du moins comme on la représentait dans les plupart des contes connus. Une drôle d'ironie, je pouvais paraître comme la mort pour un soir mais ne pouvait effectué son travail, dommage, j'aurais pu choisir mon amant ou ma maîtresse de cette nuit dans cette foule. La foule justement, il y avait bien trop de monde pour moi, je n'étais pas sujet aux hallucinations parce qu'il y avait déjà bien assez d'affreux visage qui m'entouraient.

La musique ne me dérangeait pas trop, je n'étais pas habitué à ce genre mais je m'y fais. Je me faufile en essayant de ne pas trop me faire bousculer, relevant de temps en temps ma capuche qui me tombe un peu trop devant les yeux et m'empêche de voir où je vais. Tout en me rapprochant de la scène, curieux de pouvoir voir de plus prêt ces jeunes artistes qui s'y déchaînaient. Tout en essayant d'éviter quelqu'un face à moi je heurte malencontreusement une autre personne, qui se trouvait derrière, de mon dos. Tout en me retournant, Je reconnais, dans une tenue pas si différente de notre première rencontre, la jeune femme que j'avais rencontré dans les cryptes.


- Veuillez m'excuser...

Sous ces paroles, je baissai légèrement la capuche devant mon masque, comme si ce dernier ne suffisait pas a me dissimuler. Sans savoir pourquoi, je désirais garder l'anonymat devant n'importe qui, surtout que notre dernière rencontre avec la demoiselle m'avait mis plutôt mal à l'aise et dans une bien mauvaise situation.


Ruth Paine

Ruth se déchainait, se défoulait, n'en pouvant plus tant la musique l'emportait dans son monde délirant de morts et d'orgasmes. Elle retiendrait ce groupe, pour sûr, elle l'écouterait à fond chez elle quand elle sentirait une crise arriver, l'une de ces crises violentes. La foule était dense et acclamait le groupe, la bibliothécaire y comprit. Elle était Catwoman ce soir, et c'est elle qui hurlait à s'en briser les cordes vocales. Non pas qu'elle était une fan totalement hystérique mais simplement qu'elle avait un besoin viscéral de hurler, de s'époumoner; quitte à s'en détruire les tympans.

Lorsqu'elle s'arrêta, elle était essoufflée et libérée. Elle passait une merveilleuse soirée. Mais il ne faudrait pas trop tarder et rentrer chez elle. La police découvrira les trois corps bien assez tôt.
Et tandis qu'elle se préparait pour sortir de la foule, quelqu'un vint la heurter. Il s'excusa immédiatement. Ruth s'aperçut qu'il avait abaissé sa capuche de manière à ce qu'elle ne le reconnaisse pas. Ce qui eu l'effet escompté quoiqu'elle fut persuadé de connaître l'homme qui se cachait sous le masque de La Mort. Peut-être était-ce une stratégie, ils étaient proche l'un de l'autre, il voulait simplement jouer son rôle. Catwoman sourit et répondit:

- Mais vous êtes tout pardonné, je ne tiens pas à me fâcher avec La Mort quoiqu'elle aie besoin de dompter neuf fois les chats avant de pouvoir les emmener.

Elle fit une révérence ponctuée d'un petit miaulement et essaya de s'échapper de la foule, chose somme toute fort difficile, impossible même. Elle formait une masse compacte et il aurait fallu user de la violence pour passer, ce qu'elle ne pouvait pas bien sûr. Elle soupira et se tourna vers la scène, essayant de trouver une sortie par le chemin inverse.

Elle grogna d'impatience en voyant que la foule la bloquait. Elle n'avait pas un gabarit spectaculaire mais tant pis, elle souhaitait rentrer chez elle, elle rentrerait... seule ou accompagnée ? Elle avait des idées farfelues qui lui venaient sans arrêt et la rencontre avec la Mort n'était pas sans lui laisser de fantasme.

*Flirter avec mon plus fidèle amant.*

Elle passa sa langue sur ses lèvres et revint sur ses pas, enfin plus exactement essaya de chercher après la gigantesque faux. Peine de toute évidence perdue : la foule était en mouvement sans arrêt. Elle se décida à aller vers la scène, et pour cela fonça simplement dans le tas. Les gens protestaient mais elle n'en avait que faire. Elle sourit quand elle vit le groupe déchainé.

*Qu'ils sont beaux.*

Il est vrai que ça l'a interpellé, et elle n'en venait qu'à apprécier un peu plus ce groupe tout à fait exceptionnel. Elle les regarda un moment sans bouger. Le morceau était d'une extraordinaire violence, et Ruth s'en sentait bien mieux, comme s'il avait pour effet de prendre la violence qui coule dans ses veines.

Lucien Morel

La demoiselle féline accepta mes excuses sans attendre et ses paroles étiraient un léger sourire sur mes lèvres, serais-je vraiment bon pour ce rôle ? Tout en souriant derrière mon masque j'accompagnai sa révérence de façon plus légère en prenant garde à ne bousculer personne cette fois, gardant cette grande faux encombrante contre moi. J'eus à peine le temps de me redresser que j'apercevais la créature, tout de noir vêtu, de dos et tentant de se frayer un chemin dans la foule.

Moi-même, de mon côté, je tentai de m'en défaire tant bien que mal. Voila pourquoi je rechignais à sortir de chez moi ou de ma boutique, les gens, la foule, c'était quelque chose que je ne pouvais supporter longtemps, ce soir je pouvais y mêler le bruit, chose à laquelle je n'étais pas habitué.

Je tentai de couper sur le côté alors que la foule me poussait contre mon gré vers la scène, sans doute le public en ébullition désirait voir le groupe de plus prêt mais personnellement j'avais d'autres projets, m'éloigner du bruit et non m'en approcher. Doucement, je décidai de me laisser porter par la foule, je finirais bien par me faufiler entre deux chansons, qui sait. Je gardai toujours la faux près de moi pour ne blesser personne à son contact et arrivé devant la scène, je tentai de me glisser devant les premiers rangs pour m'extirper de cette masse de gens.

Sans faire attention, je repassai devant la jeune féline que j'avais bousculé auparavant pendant que ma capuche glissait sur mes épaules à mon passage entre deux personne un peu trop proches l'une de l'autre. Sans y prêter attention, ne me concentrant que sur l'ouverture qui s'offrait à moi pour enfin m'échapper, je finis enfin par sortir de cette foule déchaînée et réajusta simplement mon masque pour qu'il reste bien droit et que je puisse avoir les yeux en face des trous. Posant un instant la faux contre un arbre, je m'adossai au tronc à côté d'elle et secoua un peu ce long manteau noir pour m'aérer. Sous le masque aussi j'avais chaud mais je ne voulais pas l'enlever avant d'être rentrer chez moi, aussi je me contentai de sortir un mouchoir de ma manche pour le passer sur mon visage en tenant le masque pour rester caché.

J'étais quasiment à bout de souffle et en sueur, pour compléter le tout, le bruit sur scène faisait pointer un léger mal de tête qui ne passerait sans doute qu'une fois éloigné, voir même dans mon appartement au calme. Quelle idée avait bien pu me passer par la tête pour que je me risque à sortir dans un moment pareil, les rues étaient pleines de monde, l'environnement était bruyant, c'était trop pour quelqu'un comme moi, habitué au calme dans un environnement serein, parfois froid mais tellement silencieux. Ici ce n'était pas la place de la Mort, bien qu'elle frapperait sûrement quelques imprudents ce soir, des fêtards qui prendraient le volant avec un taux trop élevé d'alcool dans le sang, la Mort installée dans le véhicule à leur côté, des imbéciles avides de montrer de quoi ils sont capable dans des paris ridicules et qui se jetteraient d'eux même dans ses bras ou que sais-je encore.


Ruth Paine

Ruth était agacée, il fallait le dire. La Mort l'avait fasciné, complètement, enfin la personne sous le masque de la Mort. Elle s'était sentie comme aspirée par sa présence. Mais la jeune directrice avait une relation assez étrange avec elle. Elle jouait son rôle, ou plutôt était son pantin. Voir ainsi son Maître apparaître après une offrande était une sorte de signe. En plus, il semblait évident que l'homme sous le masque avait lui aussi une relation ambiguë avec la dame à la faux.

Ruth souriait, dans ses pensées, au milieu d'une foule déchaînée et en continuelle mouvance. Et soudain, alors que des images de sang et de sexe lui brouillait la vue, l'apparition tant souhaitée se fit. Une capuche tomba au même moment, dévoilant un semblant de tête que Ruth connaissait... Elle eut un hoquet de surprise étouffé par le bruit et un sourire immense tout de suite après.

*Serait-ce...*

Elle avait un doute, bien entendu. Elle ne l'avait vu qu'une fois au fin fond d'une crypte. Elle se demandait si le fait qu'elle le rencontre dans des endroits qui font frissonner et dont la Mort est familière était un signe.

*Non... je dois me tromper...*

Mais le doute était là, bel et bien ancré en fin fond d'elle-même. Et puis elle ressentait cette fascination et cette attirance, la même qui l'avait déstabilisée dans les cryptes devant Lucien Morel, l'antiquaire.

*Il ne faut pas qu'on me reconnaisse... je ne peux pas risquer de me dévoiler à ce si séduisant homme... quel dommage... je l'aurais bien croqué...*

Une chose qui était étrange, elle ne ressentait aucune envie d'égorger Lucien. Quand à l'homme sous le masque de La Mort, elle n'en savait rien, ils n'avaient quasiment échangé aucune parole. Elle le suivit cependant à travers la foule - il s'était frayé un chemin elle en avait profité. Elle le vit adossé à un arbre.

*Que faire ?*

Elle resta à bonne distance, jaugeant la situation, puis se décida. Elle soupira en s'avançant de quelques pas et fit un signe de la main au personnage avant de s'en aller dans la direction opposée. Elle allait rentrer chez elle. Personne ne penserait à elle à la découverte des corps, du moins l'espérait-elle. Mais personne n'avait jamais eu de soupçon. Il faut juste espérer que Lucien n'en ai pas, si c'était lui derrière le masque, il pourrait faire le rapprochement dans le cas où il l'aurait reconnu. N'oublions pas qu'avant leur rencontre dans les cryptes, Ruth venait d'y déposer un corps.

Lucien Morel

Alors que je reprenais doucement mon souffle, quelle ne fut pas ma surprise d'apercevoir à nouveau la demoiselle féline et qu'elle me fasse signe en plus, réflexe stupide, je profitais qu'elle me tourne le dos pour regarder autour de moi si elle ne s'adressait pas à une autre personne, mais je me retrouvais seul, m'aurait-elle reconnu ? Je ne vois pas comment.

Alors qu'elle s'éloignait, j'eus l'idée de la suivre sans y réfléchir, de quoi aurais-je l'air, d'un vieux pervers qui désire suivre sa proie jusque chez elle pour voir dans quelle environnement elle évolue ? Pour pouvoir la retrouver facilement ? En m'approchant des buissons pour être plus discret, je secouai la tête sur ces pensées stupides. J'avais oublié la faux contre le tronc dans ma hâte et n'y pensant même plus, je m'enfonçais dans les épais buissons en bordure.

Tout en regardant devant moi, la tête haute pour essayer d'apercevoir la direction de la femme féline, je ne faisais presque pas attention à la direction que je prenais, ni où je pouvais bien mettre les pieds, je décidai de défaire le long manteau pour m'alléger en peu en le portant sur le bras et fus interrompu dans mon geste. Je venais de buter contre quelque chose et me retrouvai au sol en quelques seconde. Rassemblant mes idées après ma chute, je me rendis vite compte que j'avais atterri sur une masse qui n'avait rien d'un tas de terre.

Doucement, je me redressai en regardant l'une de mes main qui avaient été bien écorchée dans les ronces, une légère grimace dessiné sur mon visage derrière le masque, j'ai relevé ce dernier sur le haut de ma tête pour être plus à l'aise et y voir plus clair et finis de me relever. En y regardant mieux, je n'étais effectivement pas tombé sur un tas de terre mais sur une personne, j'ai d'abord pensé à un élément du décor d'halloween laissé là mais c'était bien trop dur et tiède pour être faux. Je me suis alors penché sur la personne, curieux de savoir pourquoi il restait là sans bouger alors qu'on lui était tombé dessus. En y regardant de plus prêt, malgré la pénombre, j'avais enfin remarqué la marre de sang dans laquelle il baignait, un rien paniqué par la vue d'autant de sang, n'y étant pas habitué, je me relevai rapidement, effectuant un pas en arrière et chutant à nouveau, sur un autre corps cette fois. Non pas que voir des cadavres me faisait peur, ça aurait été un comble, mais ce genre de situation, je n'y étais pas habitué.

Rassemblant encore une fois mes idées, je me relevai, le corps un peu tremblant, avant de remarquer que les manches de ma chemise blanches sous le manteaux étaient imbibés de sang. Le reste devait l'être aussi mais heureusement, ça se voyait moins sur le noir. Je m'enroulai rapidement dans le grand manteau et remis le masque sur mon visage, le cœur battant la chamade, je me suis écarté de la scène et je suis sorti des buissons. La demoiselle devait être loin maintenant et puis si c'était bien celle à laquelle je pensais, je saurais où la trouver.

Sans trop me presser pour ne pas éveiller de soupçons, je me suis éloigné des buissons pour prendre le chemin du bazar, la démarche aussi assurée que possible. J'aimais la mort mais les boucheries n'étaient pas pour me plaire, la vue du sang en trop grande quantité me répugnait et je ne manquerais sûrement pas d'être malade en chemin.

By Miss Belzy & Gwen Paine

Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. Uniquement les textes Ruth Paine.

Un Couple Funeste - Chapitre 1 - Imagination débordante

Lucien Morel


Vu chez mon voisin, le libraire, une estampe galante du XVIIIe siècle - une nonne besognée par un moine - qui me donna l'envie d'aller visiter la crypte des sœurs. Il faisait une chaleur suffocante, orageuse, et tout semblait dormir. La grille était grande ouverte et j'entrai sans être vu. L'escalier des galeries était plutôt raide et glissant mais je m'y engageai tout de suite.

Sur mon chemin, je trouvai la Circoncision (un tableau) , qui me désola car elle avait été refaite vers 1890 par quelque rustre badigeonneur. Il avait habillé de neuf les personnages de la scène, retouché l'architecture, introduit des draperies de style tapissier dans l'ouverture des fenêtres par lesquelles on avait jadis entrevu les maremmes vénitiennes. C'était à en pleurer et je ne pouvais rester une minute de plus à contempler une telle vision d'horreur. Aussi je décidai de continuer ma route entre les murs étroits de la galerie. Tout en marchant, je laissais une de mes mains glisser le long de la paroi, les yeux clos, pendant que mon esprit se laissait bercer par mon imagination. Je m'étais laissé emporter dans quelques divagations, m'imprégnait de l'ambiance des lieux et en rouvrant les yeux...

L'allée centrale était occupée par une civière arrangée en catafalque et sur laquelle reposait une religieuse, sans doute provisoirement laissée seule par les sœurs qui devaient la garder. Bien que morte, cette nonne au ventre gonflé comme une outre, au visage qui semblait issu du crayon de Daumier, m'inspira une vive répulsion. Elle portait l'habit de son ordre et ses sœurs l'avaient coiffée d'une couronne de grosses roses en papier, pour signifier qu'elle était vierge. La patronne d'un restaurant où j'avais déjeuné un jour m'avait raconté des choses assez horribles sur l'hystérie et l'insigne méchanceté des nonnes, à l'égard des orphelins qu'elles hébergeaient parfois. De toutes les mortes que j'ai vues, cette nonne fut la seule qui ne m'inspira ni sympathie ni tendresse : la méchanceté suintait de sa personne tout entière. Je notai l'image avec déplaisir, m'étonnant seulement de la fréquence avec laquelle le nécrophile rencontre la mort, l'ivrogne la bouteille, le joueur les cartes.

A l'instant où je faisais cette réflexion, une personne entra dans la crypte, dans la même seconde où un formidable coup de tonnerre se fit entendre et où une pluie torrentielle tentait de pénétrer brusquement jusque dans la crypte. Après une brève hésitation, je voulus rapporter mon attention sur la nonne qui devait se trouver à mes côtés, mais... La vision avait disparu et un soupire las m’échappa. A l'extérieur, les cloches sonnaient comme pour chanter avec l'orage.



Ruth Paine


Il y a une chose qui chagrinait Ruth, c'était sa force physique. Elle avait des difficultés à porter ses victimes pour les cacher, ce qui, ce soir, était le cas.

- Pourquoi doivent-ils toujours être des tas de graisses. Ras-le-bol de ces déchets puants.

Elle voulait le planquer dans la crypte, le temps que quelqu'un y passe, il ne serait pas découvert de suite. Surtout qu'il y avait une cachette idéale, un petit couloir que personne n'empruntait car obstrué et duquel une odeur infecte se dégageait. On mettait en cause les rats. On ne devrait pas. Ces pauvres rongeurs n'y sont pour rien.

Elles descendit les marches un peu trop lourdement à son goût, mais il faut dire qu'il était pas léger l'autre imbécile. Elle faillit tomber aussi mais se rattrapa de justesse. Encore quelques pas et elle y serait. Elle ne savait évidemment pas qu'il y avait quelqu'un un peu plus loin, elle ne s'inquiétait donc pas d'être surprise.

Elle laissa tomber le corps lourd sur le sol de l'étroit passage puis s'en retourna dans le couloir principal. Il faisait fort sombre à cause de la nuit qui avait pointé son nez depuis un bout de temps déjà, sans parler de l'orage qui craquait fortement depuis le début de soirée. Il devait être à peu près 22 heures. D'habitude, Ruth ne commet ses forfaits que vers minuit mais là, sa victime était précoce. Pas de veine.

Elle fit claquer ses talons assez rapidement non pas dans la direction par où elle était venue mais vers l'autre sortie de la crypte. Elle passa devant le tableau sans même lui accorder un regard, elle connaissait pas cœur cette horreur de l'art pictural. Elle avait aussi pris le temps de ranger son couteau de chasse dans son fourreau caché en haut de sa cuisse droite vers l'intérieur. Elle savait qu'elle avait une tenue impeccable, aucune trace de sang. Il n'y a eu qu'une seule fois du sang, c'était son premier meurtre, son premier orgasme. Après elle a bien fait attention, pour ne pas laisser de trace.

Elle portait sa tenue de cuir noir, qui faisait même un peu latex dans la nuit. Elle avait un effet d'attire-moucheron sur les hommes qui ne pouvait détacher leur regard de ce corps moulé dans cette tenue aguichante. Piège fatale, l'araignée les mangeait avant de les tuer.

Elle aperçut une vague silhouette un peu plus loin. Elle s'arrêta brusquement et se crispa avant de reprendre un air naturel et de se diriger vers l'inconnu.

*Une autre proie peut-être ?*

Elle ne tuait qu'à peu près une fois par mois, c'est pourquoi elle était un peu réticente à l'idée de recommencer ce soir-là. Elle verrait comment les choses arriveraient.

- Bonsoir...

Lucien Morel


En ces lieux, il n'y avait qu'une faible lumière qui pénétrait dans la pièce à chaque coup de tonnerre. Avec un tel orage, pas le temps de compter entre le moment où l'ont percevait le son et celui où l'on percevait la lumière, ils étaient bien synchrone, l'orage devait être proche.

Le temps de l'éclair, la personne qui se trouvait là n'avait pas bougé, comme figé dans ce mince rayon de lumière bleutée, je n'avais pas eu le temps de la distinguer. Ce ne fut qu'à l'éclair suivant que je pus constater qu'elle avait changé de place et qu'elle se rapprochait de moi.

Je n'avais pas bougé, je restais planté au milieu de la pièce et vérifiais encore une fois que ma vision avait bel et bien disparue, encore une qui n'était qu'éphémère. Lorsque les cloches se turent après avoir sonnés 22 coups à peu près. Je pus entendre la voix de l'inconnu, c'était une voix féminine à l'intonation calme. Elle faisait preuve de politesse malgré cette rencontre incongrue en plein cœur des cryptes, endroit à mon sens peu visité.

Je lui répondis donc tout aussi poliment sans autre formalité physique, étant de toute façon dans l'obscurité elle n'aurait pas vu le salut à son intention.

- Bonsoir.

Un éclair plus long traversa le ciel et la lumière qui éclairait faiblement la pièce persista quelques secondes supplémentaires cette fois, le temps que je puisse vaguement observer à qui j'avais à faire. Pas de doute sur le fait que c'était bien une femme, la lumière de l'orage me renvoyait quelques faibles reflets de sa tenue de cuir en me révélant ses formes. Je profitais donc de cette luminosité pour la saluer comme il se devait, m'inclinant très légèrement, moi , mes manières et ma tenue d'un autre temps. Quel vieux garçon je faisais.

Après ce bref salut, la lumière s'en était allée et maintenant que je n'étais plus seul, l'obscurité me dérangeait. Je me suis approché de l'une des parois humides de la crypte pour longer celle-ci en laissant courir ma main sur le mur froid. Je connaissais plutôt bien les lieux et j'y avais laissé quelques secrets. Ma main rencontra enfin ce que je recherchais, un petit coffre que j'avais enfoncé dans l'un des interstice de la roche, je le sortis de sa cachette et l'ouvris pour en sortir des bougies. Tout en vérifiant d'une main que la mèche était sèche, je fouillais de l'autre dans la poche de mon pantalon pour en sortir une boîte d'allumette. J'en sortis une et la fis craquer contre la boite avant d'allumer la bougie, laissant la chaleureuse lueur de sa flamme éclairer mon visage dans la pénombre. Avec tout ça, je m'étais éloigné de l'inconnue et je l'invitais d'un signe à me rejoindre dans la clarté.

- Vous seriez-vous perdu ?


Ruth Paine


Après lui avoir répondu, l'inconnu se dirigea en longeant le mur, éclairé par intermittence grâce aux éclairs. Il sortit d'une cache un coffret dans lequel étaient cachées des bougies. Ruth frissonna en pensant que cette crypte était plus souvent visitée qu'elle ne le pensait. Elle ne laissa cependant rien transparaître de son trouble mis à part ce frisson et se rapprocha de la source de lumière et de chaleur.

- Pas vraiment, répondit-elle d'une voix faible. Je préfère les cryptes aux orages.

Elle fixa la flamme un court instant. Elle avait toujours aimé l'ambiance qu'offrait la lueur des bougies dans un lieu sombre. Elles créaient une atmosphère intime et chaleureuse, même dans cette crypte. Mais Ruth craignait un peu d'éclairer l'endroit. Elle s'y promenait toujours dans le noir, elle pouvait laisser n'importe quel indice de ses nombreux forfaits.

*Je vais devoir explorer la ville et trouver une autre cache. Quelle poisse. Je pourrais le tuer mais comment saurais-je si personne d'autre ne vient ?*

Elle secoua la tête et fixa quelques secondes l'obscurité. Elle s'était éblouie à fixer la flammèche dont l'image restait dans son champ de vision comme une illusion mouvante. Et fermer les yeux ne changeait rien à l'affaire. Elle finit par reposer ses yeux sur le visage de l'inconnu sur lequel la flamme dansait. Le spectacle lui donna envie de sourire mais elle se contint.

- Je m'en allais vers l'autre sortie. L'odeur est insupportable là bas. Elle désigna le couloir derrière elle d'un signe de la main.

*Avec cette lumière, il pourrait voir quelque chose.*

- Cet orage ne semble pas vouloir se calmer.

Elle essayait de parler mais il fallait avouer qu'après avoir accompli un meurtre, elle avait quelques difficultés à se concentrer sur autre chose que la jouissance qu'elle ressentait.

- Je... Le tonnerre m'effraie un peu, je m'excuse de ma nervosité.

*Trouver quelque chose, une excuse... que fait-il ici ? je peux pas demander ça comme ça... Quelle poisse ! S'il va de l'autre côté je devrais le tuer... et là... pas envie...*

- Vous vous êtes réfugié vous aussi ? Enfin, vous allez me dire que se réfugier dans une crypte est quelque peu tordu.

Elle fit un sourire amusée.

*Je dois être assez convaincante. On verra.*


Lucien Morel


J'écoutais avec attention la réponse de la jeune femme, observant distraitement son visage dans la chaleureuse et faible lumière dansante de la petite flamme. A un moment, je dus lever la main pour entourer la petite flamme de protection, un vicieux courant d'air s'était faufilé jusque dans la galerie et menaçait de souffler cette faible lumière.

D'après sa réponse, j'en conclus qu'elle s'était simplement abrité, au premier endroit qui s'offrait à elle, contre l'orage. C'est vrai que celui-ci semblait pluvieux, furieux, et si la pluie était aussi acharnée que les éclairs, il ne valait mieux pas se trouver en dessous. J'observais la flamme pour surveiller que ma main puisse toujours la protéger des petits coups de vents qui s'engouffraient.

Alors que le silence s'était installé quelques secondes et que l'autre personne observait mon visage, je m'étais surpris à jeter un petit coup d'œil au centre de la pièce, quelque fois que la nonne serait revenu, mais rien. Je fermais un court instant les yeux d'un air las en laissant filer un soupir, puis la voix de l'inconnue me parvint à nouveau.


- Je peux vous prêter l'une de ces bougies pour que vous puissiez vous éclairer jusqu'à la sortie.

Puis je levais le nez vers le plafond humide, comme si j'étais capable d'observer les intempéries à travers la pierre. Toujours aucun laps de temps entre les éclairs et les craquements de la foudre.

- Il ne semble pas prêt à s'éloigner.

En entendant la jeune fille balbutier légèrement, je rapportai mon attention sur son visage, je n'avais jamais craint l'orage, le noir oui, j'en avais un peu peur mais curieusement, pas dans les cryptes. Je m'y sentais bien.

Avant de lui proposer mon aide, je décidai de répondre à ses interrogation, on ne croisait pas souvent du monde dans ces cryptes, une personne ou deux devait y venir de temps en temps mais si peu.


- Je n'y vois rien de tordu, lorsque j'ai besoin de me retirer dans l'obscurité un moment, il m'arrive de me réfugier ici, surtout quand je sens l'orage approcher. Contrairement à vous, le tonnerre m'apaise et me berce. Lorsque je suis dans le noir je peux laisser libre coure à mon imagination.

Maintenant que j'avais apporté des réponses, je me souvins qu'elle semblait mal à l'aise à cause de l'orage et pris une seconde bougie dans la boite, la lui tendant avec les allumettes.

- Je peux vous accompagner vers la sortie si vous le désirez.

Depuis le début de cette rencontre, comme à mon habitude d’ailleurs, mes expressions étaient neutres, presque inexistantes et mon ton quasiment monocorde. Si l’on cherchait bien, la seule expression qu’on aurait pu lire serait la déception, celle qui me prenait à chaque fois que mon imagination me jouait de vilains tours pour me laisser finalement seul avec moi-même. Ce qui cette fois n’était pas complètement le cas.


Ruth Paine

L'inconnu restait calme, serein et semblait parfaitement gober la fausse excuse de la meurtrière. Sa tenue de cuir quelque peu brillant lui donnait un air de loubard et pas l'air de quelqu'un d'effrayé par le tonnerre, les éclairs, l'orage. Mais il y avait tant d'étrangeté dans ce monde qu'il n'était plus étonnant de voir une frêle demoiselle se promenait en tenue de cuir presque latex et pour peu que l'inconnu soit intelligent il se dira: "l'habit ne fait pas le moine."

Ruth pensait trop, elle avait toujours beaucoup trop penser. Elle ne réfléchissait pas quand elle tuait, c'était mécanique, instinctif, purement bestial, mais pour le reste, son cerveau fonctionnait à deux cents à l'heure. Le fait qu'il ne trouve pas les cryptes tordues lui plut énormément. Elle adorait cet endroit, au-delà de la puanteur qu'elle était, pour le moment, seule à pouvoir expliquer. Et bizarrement, elle se sentit obligée de se justifier auprès de cet inconnu qu'elle semblait apprécier et qui se faisait protecteur. Elle le remercia pour la bougie.

- Je ne trouve pas non plus que venir dans une crypte pour se réfugier soit tordu. Je vous ai dit ça parce que les gens trouvent étrange que je vienne dans cet endroit que ce soit en cas d'orage ou simplement pour me reposer l'esprit et réfléchir... et sentir cette odeur immonde aussi.

Les bougies illuminaient chacun de leur visage et tout comme Lucien, Ruth protégeait la flamme de sa main. Il se proposait pour la raccompagner vers la sortie. La veine pour Ruth qui choisirait l'autre sortie, un peu plus éloignée, mais la jeune femme s'en fichait et puis elle était assez intelligente pour d'emblée trouver la meilleure des excuses. Mais il n'y avait guère besoin de beaucoup d'intelligence pour cela.

- Un peu de compagnie ne peut faire de mal à personne. Si ça ne vous dérange pas, allons vers la sortie là-bas - elle désigna le couloir opposé à celui où était déposé le cadavre. Comme l'orage ne semble pas vouloir se calmer nous aurons un peu de temps pour parcourir cette crypte et discuter, si ça ne vous dérange pas.

*Où est-ce que je peux bien aller pour cacher mes bêtes de sexe? Si même dans une crypte ils ne sont pas en sécurité... Et puis j'ai du boulot à la bibliothèque, ce nouvel arrivage de trésor... je vais devoir appeler un restaurateur... la ville ne m'alloue pas assez d'argent pour ça, ils sont marrant eux...*

Elle avait fait quelques pas tout en pensant intérieurement et n'avait pas fait attention si l'inconnu aux bougies la suivaient ou pas. Elle se retourna vers lui et lui demanda de but en blanc:

-Que faites-vous dans la vie ?

*Je déteste les questions banales, mais ça peut parfois mener à des discussions très intéressantes et des découvertes inattendues.*

Elle souriait, tel un ange en habit de diable. Sa pâleur nocturne était accentuée par sa tenue et ses cheveux noirs, tout comme ses yeux étaient les ténèbres en personne... ou presque, il y faisait plus noir qu'une nuit sans lune et sans étoile. Et avec ces yeux, elle aimait fixer ceux des autres. Si certains, comme Lucien, étaient les champion de l'expression neutre, que ce soit dans les yeux ou sur le visage, Ruth avait des pupilles insondables et désagréablement sombres. Elle le savait et s'en servait, surtout juste avant de tuer. On y sentait toute la haine et la rage que la jeune femme ressentait à l'égard du monde entier. Mais les hommes, ces idiots, la trouvaient si envoûtante. Ils adoraient surtout sa paire de cuisse et sa poitrine généreusement offert par un décolleté soigneusement choisi. Elle ressentit l'envie de se voir de nouveau supérieur au genre masculin, le possédait grâce à quelques bouts de tissu en trop ou en moins... c'était jouissif rien que d'y penser.

Elle se surprit à afficher un sourire sournois qu'elle effaça aussitôt.


Lucien Morel


Je n'avais qu'à la suivre, je connaissais ces cryptes comme ma poche et elle semblait, elle aussi, plutôt bien les connaître. Il est vrai que ce chemin était un peu plus long que celui que j'imaginais pour sortir mais comme elle l'avait dit, l'orage ne semblait pas prêt à vouloir se calmer alors autant en profiter.

- Pourquoi pas.

Je regardais devant moi, la jeune femme avait déjà ouvert la marche sans prêter attention au fait que je la suive ou non, finalement elle ne semblait plus si effrayé par l'orage, ou bien ma seule présence lui suffisait à se rassurer, ou encore était-ce peut-être la faible lumière qu'offraient les deux bougies que nous tenions chacun.

Tout en protégeant toujours la petite flamme de ma main, je profitais de la vue que m'offrait cette faible luminosité, entre deux éclairs je pouvais en profiter sous d'autre tons. Il ne fallut pas longtemps à mon imagination pour me jouer un nouveau tour et je m'évadais comme à l'instant où la jeune inconnue m'avait surpris près de la bonne sœur, cette dernière maintenant effacée en un coup d'éclair.

Comme je m'engageais dans une galerie juste après mon guide, que j'avais perdu de vue un court instant, mon attention fut soudain sollicitée par le manège que je percevais -je le croyais du moins- chez l'inconnue. Un genou posé sur une chaise au dossier de laquelle elle s'accoudait, la croupe saillante, le cou tendu, elle approchait son visage jusqu'à toucher une tête de mort posée sur une cimaise imaginaire. Le profil de la jeune femme et celui du crâne se détachaient nettement sur la faible lueur des bougies, la bouche de l'une posée en ventouse sur le sourirede l'autre.

La femme avait réussi à introduire dans la mâchoire sa langue que je voyais en contre jour, lécher et frétiller entre les dents du mort, incurvée, pointée comme cette corne de corail, le vieux symbole phallique que certains portent contre le mauvais œil.

Tantôt la femme ramenait cette langue que je devinais étonnamment dure et charnue, jusque sur les incisives du mort, la promenant tout le long de la denture extérieur comme un main caresse un clavier, tantôt la plongeant aussi loin qu'elle pouvait pour lécher l'intérieur des molaires et la voûte du palais.

Tout à son plaisir, elle ne m'avait pas entendu approcher. Je l'observais quelques temps mais elle remarqua soudain ma présence et se retourna vers moi.

Sorti à nouveau violemment de ce songe par une voix, je m'aperçus que la jeune femme s'était belle et bien tournée vers moi mais tout le reste du décor avait disparu.
J'eus tout juste le temps de répéter les mots qu'elle venait de m'envoyer dans ma tête pour recomposer sa question avant de répondre, légèrement confus sans trop le laisser paraître.


- Je suis Antiquaire, vous connaissez peut-être le Bazar des Rêves ?

Ce que le spectacle, même imaginaire, et le lieu avaient d'insolite, joint à l'euphorie ressentie dès mon entrée dans les cryptes, me causèrent l'effet auquel un nécrophile peut s'attendre. Je désirais cette femme, bien qu'elle fût vivante. Je voulais découvrir si sa peau était aussi lisse au toucher qu'à la vue et bien que je ne laisse rien voir de cette envie, n'importe quelle personne qui connaissait vraiment très bien les hommes aurait pu le découvrir sans trop d'efforts.


Ruth Paine

La jeune femme avait bien cru voir approcher en silence l'homme qu'elle avait rencontré et tandis qu'il lui répondait, elle sentit bien non pas un malaise mais comme un petit indice que tout homme laisse échapper lorsqu'il la désire, elle. Elle le sentait quasiment tout de suite et bien que ce fût quelque peu différent avec celui-ci - elle n'avait pas envie de lui passer un couteau sous la gorge et de lui dessiner un sourire.

Elle lui sourit donc, ne laissant rien paraître de son ressenti quant à lui et lui répondit à son tour.

- Oui, je connais de réputation ! Seriez-vous le gérant ?

*S'il travaille là-bas, on va le garder en vie, les antiquaires se font rares et ils sont plein de ressources. En tant que directrice de la bibliothèque, je me dois de le garder dans mes relations.*

Elle continuait d'avancer assez lentement pour que l'orage ait le temps de passer. Elle faisait l'effort de ne pas sursauter à chaque détonation mais la compagnie de l'antiquaire y était pour beaucoup dans le fait qu'elle se sentait un peu rassurée. Elle reprit la parole avant de lui laisser le temps de répondre.

- Vous seriez habilité à restaurer la reliure d'un livre ?

Les antiquaires étaient aussi, parfois, des restaurateurs d'œuvres. Il suffisait qu'elle soit un tantinet chanceuse - et lui aussi- pour qu'il le soit. Elle aurait ainsi quelqu'un avec qui passer un contrat - elle recherche activement un restaurateur mais c'est une espèce rare - et il aurait la vie sauve à jamais en sa compagnie.

Elle s'arrêta subitement et l'observa sans même se cacher, le dévisageant. Elle était déjà passé devant le Bazar des Rêves sans y pénétrer, non pas que l'envie lui manquât mais le temps surtout. Son regard s'illumina soudain parce qu'elle le reconnut - elle l'avait vu même sans y pénétrer.

*On rencontre vraiment des personnes intéressantes dans les cryptes.*

Encore une fois elle ne lui laissa pas le temps de répondre, persuadée que ce serait à la positive pour chacune de ses questions. Elle n'avait malheureusement pas apporté de carte avec elle. Ce n'était pas vraiment utile en général lorsqu'elle chassait.

- J'ai besoin de vos talents Monsieur ! Je suis la directrice de la bibliothèque de la ville !

*Imprudence, je ne suis pas vraiment dans une tenue tout à fait spécifique à ce métier, ni dans un lieu "fréquentable" quoiqu'il aime s'y promener apparemment.*

- Je vous prie de garder secret mes aventures nocturnes dans les cryptes. Surtout vis-à-vis de mes employés.

*Je donne un naturel un peu affolé depuis le début de la rencontre. Foutu orage, je suis vraiment pas à l'aise.*

- Excusez ma nervosité mais cet orage y est pour beaucoup. Mais j'ai l'impression qu'il commence à s'éloigner.

*Mais je parle trop, tais-toi vieille imbécile.*


- Vous pouvez m'aider n'est-ce pas ? Pour les livres je veux dire.

La jeune femme bafouillait, parlait vite, ne se contrôlait pas vraiment, ce qui était assez inhabituel chez elle. Soit l'antiquaire lui faisait un drôle d'effet, soit l'orage avait semé de l'électricité dans ses neurones. Optons plus pour la première solution, l'antiquaire la troublait réellement ce qui la fâchait quelque peu. Elle le regarda de ses yeux d'une profonde noirceur que la lumière des bougies faisait quelque peu briller et qui faisait ressortir un peu plus sa pâleur naturelle. Elle attendait une sorte de réponse à ses questions auxquelles elle avait apporté elle-même des réponses dans sa nervosité. Elle sourit d'un air totalement gêné.

*Il a l'air si... froid. Non... ne craque pas.*


Lucien Morel


Le manque de réaction de la jeune femme sur mon état me rassura quelque peu, mais ça ne changeait rien à cet état justement. Je pris sur moi pour tenter de me calmer doucement, écoutant le son de sa voix comme si elle venait d'un peu plus loin. A sa première question, je me contentai d'acquiescer doucement à l'affirmatif, je craignais que ma voix ne trahisse quelque chose. Puis la jeune femme sembla perdu quelques secondes dans ses réflexions. Moi je me contentais de la suivre en la regardant le moins possible.

Elle avait ralenti son avancée, puis le son de sa voix me parvint à nouveau. Restaurer des reliures ? Ça m'était déjà arrivé de le faire, c'était d'ailleurs le seule type de restauration que j'osais faire, les tableaux c'était bien trop risqué et je n'étais pas artiste, les reliures, je l'avais appris de mon père. Sûr de ma réponse, j'entrouvris les lèvres pour lui répondre avant de sursauter légèrement manquant de souffler la flamme de ma bougie. La jeune femme venait de se retourner si brusquement que je m'en était saisi sur le moment. Elle me regarda à nouveau, plus insistante cette fois, mes lèvres étaient toujours entrouvertes, figées par la surprise dans leur mouvement. Je ne comprenais pas bien son comportement si brusque et le fait qu'elle me dévisage ainsi me mettait encore plus mal à l'aise.

Quoi qu'il en soit, je n'eus pas le temps de lui donner ma réponse qu'elle repristla parole, elle semblait insister. J'appris alors qu'elle était la directrice de la bibliothèque et compris pourquoi elle m'avait posé la question précédente. J'étais un peu perturbé, tant de choses en même temps, moi qui n'était pas habitué au contact avec les gens hors de ma boutique et encore moins dans un lieux aussi insolite. La jeune femme ne s'arrêta pas pour autant de parler sans me laisser le temps de placer un mot. Je la laissais donc finir et préparais mes réponses pour la fin. Je compris alors ce qui l'avait mis dans un tel état que je n'arrivais pas moi-même à définir, j'avais pensé à de l'enthousiasme quelque part mais elle avait une façon étrange de l'exprimer.

Puis, comme pour la rassurer, un très léger sourire se dessina sur mes lèvres, finalement toutes ses questions pouvaient se résumer en une seule et même réponse de ma part.


- Je veux bien tenter de vous rendre service dans la restauration des livres. Mademoiselle ?

Je me disais qu'après de tels discours, on pouvait bien commencer à faire les présentations et puis ce n'était pas tout les jours que l'on pouvait croiser du monde dans les cryptes, et c'était une chose plutôt intéressante. Comme nous nous approchions de la sortie et que l'orage semblait s'éloigner, avait fait remarquer la jeune femme, il était peut-être temps de se séparer ? Ou pas ? Quelque part, j'espérai sans savoir, que non et en même temps, nous avions tout deux des choses à faire ailleurs.



Ruth Paine

Ruth était heureuse de sa trouvaille, enfin, de la rencontre qu'elle venait de faire. Ce genre d'homme était d'une rareté affligeante, s'il y avait plus de restaurateur de livres, elle ne devrait pas stocker des merveilles à l'abri de toutes mains. Elle souriait, réellement satisfaite.

- Si on m'avait dit que je rencontrerais un antiquaire restaurateur de livres dans une crypte... Déjà rien que le fait de trouver un restaurateur de livres est un pur miracle ! Mademoiselle Ruth Paine, mais Ruth me convient parfaitement !

Elle avait une irrésistible envie de lui parler des livres qu'il faudrait restaurer mais l'orage semblait s'être apaisé. Et si elle aimait les cryptes, elle commençait à se sentir un peu enfermée. La lueur des bougies était apaisante mais étouffante aussi.

- Le temps est redevenu calme. Que diriez-vous d'aller prendre un peu l'air ? Et puis je dois rentrer, demain j'ai du travail.

Elle sourit, elle allait lui donner rendez-vous, il fallait qu'il passe à la bibliothèque dans les plus brefs délais. Cependant, elle évitait de regarder son visage qui la fascinait. Elle sentait une réelle attirance pour lui mais elle avait déjà eu son compte ce soir et elle devait le préserver, elle avait besoin de lui.

- Quand pouvez-vous passer à la bibliothèque? D'ailleurs, comment vous appelez-vous ? Je ne vous l'ai pas demandé. Nous établirons notre plan de travail comme cela, et nous ferons les contrats, la mairie me demandait de faire restaurer ces ouvrages, mais je ne trouvais personne capable de le faire.

Tout en parlant elle se dirigeait vers la sortie, cependant cette fois-ci elle s'assurait que son interlocuteur la suivait.

*Ne le perdons pas.*


Elle se forçait à ne pas s'imaginer sur lui, à ne pas imaginer ses caresses, sa peau qui paraissait si pâle dans ces ténèbres. Elle s'efforçait de ne plus le fixer, de peur de voir couler de sa gorge des filets de sang. Elle ne voulait pas avoir envie de le tuer, elle ne voulait pas avoir envie de lui, mais pour ce point là, c'était bien trop tard. La fascination qu'elle avait pour lui avait déjà jouer dans la balance. Il avait un charme si imposant qu'elle se dit que peu de femmes devait résister à l'attraction.


Lucien Morel


La jeune femme semblait ravie de sa rencontre improbable dans les cryptes, moi même, je devais avouer que trouver une directrice de bibliothèque, ainsi accoutrée et dans un tel endroit m'avait plutôt surpris, mais je n'en dit rien. La jeune femme se présenta dans les règles de l'art et je pus enfin prendre connaissance de son identité.

Je n'eus pas le temps de me présente à mon tour, qu'elle me fit remarquer que l'orage s'était calmé, j'ai répondu d'un simple signe de tête affirmatif, il était temps de sortir de là, de profiter de la nuit à l'extérieur, de faire un tour au cimetière peut-être, en espérant ne pas y faire une nouvelle rencontre bien que celle-ci ne m'ait pas déplus, loin de là.

En reprenant son discours pour me demander quand j'aurais l'occasion de venir à la bibliothèque, elle se rappela que je n'avais pas eu le temps de me présenter. Elle ne s'arrêtait plus de discuter maintenant, motivée, sans doute, par l'idée de pouvoir revoir ces ouvrages en état. Je ne dis rien, et accélérai le pas pour arriver à son niveau avant de lui passer devant, réduisant la distance entre nous et les deux bougies éclairaient maintenant nos deux visages en même temps. Doucement, j'ai déposé mon index sur mes lèvres, nous nous étions approché, en chemin, d'un endroit particulièrement calme de la crypte, il restait quelque vieux tombeaux juste avant la sortie et je désirais que cet endroit reste silencieux pour le repos des morts. Je désirais le silence tout simplement, je n'étais pas habitué au bavardage.


- Je m'appelle Lucien Morel.

J'éloignai ma main de mon visage et repris les devants pour me rendre à la sortie, montant les marches doucement pour ne pas glisser, je m'assurais que Ruth me suive sans dérapage sur les marches. Une fois dehors je pris une bonne bouffée d'air frais, la nuit devait être tombée depuis longtemps et c'était l'heure où l'air était pur, où l'on pouvait entendre le chant des oiseaux. C'était apaisant. Je soufflai doucement sur la flamme de la bougie, humant légèrement la fumée qui remplaçait la chaleur de sa douce lumière, tout cela pour profiter de l'obscurité qui m'entourait.

Ruth Paine

Ruth observait son interlocuteur dans l'obscurité encore rompue par la dernière lueur de sa propre bougie, puisque Lucien avait soufflé la sienne. Elle eut un sourire discret en remarquant qu'il avait quelque chose de mystique et de mystérieux qui ajoutait encore à son charme écrasant. Ruth n'en était que plus troublée mais essaya de n'en rien laisser paraître. Cela valait mieux, elle voulait entretenir des rapports tout d'abord professionnels.

Elle s'aperçut que l'obscurité s'épaississait à mesure que l'heure passait, il lui fallait retourner chez elle, elle s'était assez amusée cette nuit. Elle allait éteindre sa propre bougie mais se ravisa, elle s'adressa à l'antiquaire.

- Ravie de vous avoir rencontrer M. Morel. Je serai encore plus enchantée de vous voir dans ma bibliothèque étudier mes ouvrages. Nous conviendrons des modalités dans des conditions plus adéquates. Vous pouvez passer quand voulez de 7h à 18h. Vous vous adresserez à l'accueil qui vous dirigera vers mon bureau. Bonne fin de soirée Monsieur, et encore ravie de vous connaître.

Elle avait pris un ton purement professionnel pour ne pas laisser paraître sa gêne quant à l'idée qu'elle se faisait d'une autre soirée en la compagnie de ce séduisant et mystérieux homme, et il devait être d'autant plus intelligent. Elle lui sourit et ajouta encore.

- Je vous emprunte votre bougie, je vous la rendrai quand nous nous reverrons. Merci à vous.


Elle lui fit un signe de tête et se dirigea vers la rue en direction des pavillons chester. Il fallait qu'elle se repose maintenant, elle a eu son compte de frayeur pour la nuit. Elle sourit encore à l'idée d'avoir fait une rencontre totalement insolite. La nuit était épaisse et tant qu'elle n'aperçut pas les lampadaires, elle maintint sa bougie allumée.


By Miss Belzy & Gwen Paine

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Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. Uniquement les textes Ruth Paine.