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mercredi 11 novembre 2009

Un Couple Funeste - Chapitre 3 - Le rendez-vous

Ruth Paine

Ruth faisait les cent pas dans son bureau. Elle était nerveuse à l'idée de revoir ce troublant antiquaire qu'elle avait rencontré dans une crypte après avoir... caché un corps. Elle avait tout d'abord cru devoir le tuer mais il s'était montré coopératif à son insu et en même temps utile puisqu'il restaurait les reliures. Elle avait aussi ressenti quelque chose, comme une attirance perverse envers cet homme si étrange. D'autant plus qu'il lui semblait l'avoir aperçu sous les traits de la Mort le soir d'Halloween. Elle avait égorgé trois adolescents après les avoir... pompés et les avait laissé là. Non loin de l'arbre où elle laissa la Mort comme dans une vision comique d'un film d'horreur. Elle était presque certaine que c'était lui, elle avait ressenti cette même attirance envers la métaphore à la faux.

Elle sentit son estomac se contracter. Elle se mettait dans un état incroyable pour pas grand chose : un rendez-vous d'affaire. Oui mais avec une personne rencontrée deux soirs où elle avait accompli son forfait orgasmique. C'était un signe ! Elle avala un verre d'eau et s'assit dans son fauteuil, il fallait qu'elle ait un air décontracter. Elle se sentait redevenir adolescente et attendre son premier rendez-vous. Elle était idiote, cet homme était antiquaire et il allait soigner ses livres, ses trésors. Elle se remit debout d'un bon et rejoignit le rayon BD. Elle aimait en lire de temps à autre. Elle parcourut des yeux le rayon et s'arrêta sur une illustration de l'Ankou. Elle chassa sans succès de son esprit les images qui lui parvenaient.

***

L'ambiance est rouge sang. Un couteau logé au creux de la cuisse la chatouille à chaque pas. Elle se dirige lentement vers sa future proie. Il l'attend, elle lui avait donné un Rendez-vous. Elle l'embrasse tendrement tout en le collant à elle. Il se laisse faire gentillement, soumis. Elle aime cette réaction et en profite. Elle le fait coucher et se met à genoux au dessus de lui. Elle prends son couteau et colle la froide lame sur son torse dénudé. Il frémit, de peur ou de froid, peu lui importe, cela lui paît. Elle enfonce légèrement la pointe dans la peau. Il sursaute à cause du picotement. Elle avance sa langue et lèche la goutte de sang qui perle...

***

- Mademoiselle Paine ?

Ruth sursauta, surprise dans ses pensées interdites. Son bas-ventre était empli d'une douce chaleur.

-Qu'y-a-t-il ?
-Votre rendez-vous est là.

Ruth regarda l'employé d'abord sans comprendre. Appeler quelqu'un un "rendez-vous" est assez malpoli selon la directrice mais elle laissa passer et se dirigea vers son bureau... vers son fantasme...

Lucien Morel

Alors voici donc la grande bibliothèque. Jamais je n'avais pris la peine de jeter un œil à l'intérieur, non pas par manque de temps, ni par manque de motivation, simplement parce que je n'avais jamais pris la peine de me rendre jusque là lors de mes rares sorties. Il m'était déjà arrivé d'apercevoir la façade de loin sans m'attarder dans les environs.

Maintenant j'y avais été invité, c'était différent, c'était... pour le travail. La rencontre avec la directrice était peu banale, une rencontre nocturne sous l'orage, protégé par les murs humides des cryptes. Je ne m'attendais pas à y croiser quelqu'un, j'y étais allé pour profiter de l'orage qui approchait en restant en sécurité, pour admirer l'œuvre bâclée dont on m'avait parlé et me laisser aller à mes rêveries habituelles.

Et puis la jeune femme est arrivée, me sortant de mes songes funèbres, je n'ai même pas cru à une nouvelle vision, elle ne ressemblait pas aux femmes que je voyais en rêve, elle était bien différente mais pas moins plaisante. Je suis encore surpris de l'attirance que j'avais pu éprouver, je ne comprend toujours pas d'ailleurs. Peut-être était-ce pour ça aussi que j'avais accepté ce rendez-vous. Je devais la revoir, vérifier que ce n'était pas un mauvais tour de l'instant, le résultat de l'ambiance des lieux.

Ici c'était un endroit public des plus communs, bien que, presque aussi calme que les cryptes car, dans les bibliothèque, le silence doit régner. Ce n'est pas la directrice qui m'accueille à mon arrivée, elle doit sans doute être entourée de paperasse dans un bureau du fond d'où elle peut tout surveiller. Mais non, lorsque l'on me fait entrer dans le bureau, celui-ci est vide de toute présence vivante, le silence règne toujours et c'est loin d'être dérangeant.

Le silence se brise avec la voix de la personne qui m'a accompagné jusque-là.

- Veuillez patienter un instant, elle ne devrait pas tarder.

Que pourrais-je faire d'autre ? Je reste sagement entre l'entrée de la pièce et le bureau, j'attends, je voudrais voir maintenant comment sera l'image de la demoiselle féline que j'avais gardé en mémoire. Celle qui portait une tenue très prêt du corps et qui reflétait dans de sombres lueurs la clarté d'une petite bougie. Ou encore celle qui ne cessait de se mouvoir de façon provocante sous les feux des projecteurs lors d'un concert trop bruyant à mon goût. Je voulais voir la directrice dans l'habit de sa profession, derrière son masque de professionnalisme. Petit à petit, je me surpris à vouloir découvrir d'autres facettes de Mademoiselle Ruth Paine, ou Ruth, tout simplement.

Ruth Painel

Elle ouvrit la porte un peu trop brusquement à son goût, laissant transparaître un empressement gênant. Elle espérait que Lucien Morel n'aie rien remarqué. Il l'attendait bien sagement juste derrière la porte. Elle le regarda un court instant, un peu interdite. Elle avait eu du mal à s'arracher de ses pensées macabres. Elle sembla se réveiller soudain et un sourire vint illuminer son visage.

- Bonjour M. Morel ! Je vous prie de m'excuser de vous avoir fait attendre.

Elle était toujours troublée par cette présence si étrange et ses idées malsaines revenaient en vagues de plus en plus puissantes. Ce soir, elle devra tuer. Il faut qu'elle se contrôle, depuis qu'elle l'a rencontré, elle tue plus. Cela risque d'avertir la police. Elle respira intérieurement, une bouffée d'air virtuelle monta à son cerveau pour se calmer. D'extérieur, elle avait simplement un peu rougie, notamment parce qu'elle s'était dépêchée.

- Je vous propose de descendre au sous-sol. Les livres en question y sont entreposés. Je souhaite vous les montrer avant d'aborder la question des contrats. Pour avoir votre avis et voir si vous êtes toujours d'accord.

Elle allait le conduire dans son antre, son endroit préféré, où elle pouvait se perdre dans la lecture d'ouvrage qui sentait la poussière et l'âge. Elle pouvait tourner les pages jaunies, entendre les froissements délicats du papiers, toucher la matière rugueuse, sentir couler le grain sous ses doigts. C'était presque aussi bon que d'enfoncer un couteau dans de la chair. Elle frissonna légèrement et invita Lucien à la suivre.

Comme il devait passer devant des salles de recherches, car la Grande Bibliothèque était aussi un centre de recherche en linguistique, elle expliqua que les chercheurs travaillaient actuellement sur les textes des quelques manuscrits de la Mer Morte récemment retrouvés, et qu'ils butaient dessus. Ils arrivèrent à l'escalier et quelques marches plus loin, une dizaine de livres les attendaient, posés sur une table.

Lucien Morel


A l'ouverture un peu brutale de la porte, je me suis tourné vers celle-ci, la mine interrogative. D'où lui venait cet empressement soudain ? La crainte d'avoir du retard peut-être, de m'avoir fait attendre quelques minutes de plus ? Il n'en était rien pourtant, tout deux, nous étions à la bonne heure.

- Je n'ai pas attendu longtemps.

La jeune femme semblait distraite, elle réagissait souvent comme ça à chacune de nos rencontre, même sans être certaine de qui se trouvait devant elle. Comme à cette soirée d'Halloween. Elle avait pris des couleurs, une teinte rosée s'accentuait doucement sur ses pommettes, changeant sa mine pâle en petit visage de poupée de porcelaine trop maquillée. Elle n'en restait pas moins agréable à regarder.

Sa voix calme m'arracha à nouveau à mes pensées tout en douceur. Elle me rappela alors la raison de ma présence ici qui avait faillie m'échapper un instant. Je me contentai d'acquiescer à son invitation dans les sous-sols pour voir les ouvrages dont il était question.

Tout en accompagnant la jeune femme, j'écoutai d'une oreille ce qu'elle avait à me dire sur les recherches qu'ils effectuaient en ce moment, tout en me concentrant sur ce qui m'entourait. Et puis, nous arrivâmes enfin dans la pièce du sous sol qui renfermait les ouvrages mis en quarantaine pour qu'ils ne soient pas d'avantage victime du temps auprès de leurs confrères.

Mon rôle ici serait de leur offrir une seconde jeunesse sans altérer la valeur que leur avait donné les années. Je me suis approché de la table pour laisser glisser ma main sur le premier livre qui se présentait à moi, dans des gestes
minutieux et d'une lenteur calculée, j'ai pris celui-ci entre mes mains et ce fut comme si je me retrouvais seul dans un tout autre monde. Avec soin, j'ai découvert ce que cachait la couverture pour voir l'étendue du travail qui m'attendait, j'ai parcouru les reliures du bout des doigts pour voir comment je devrais m'y prendre. Cela ne me demanderait qu'une nuit de travail si je ne m'occupais de rien d'autre, tout au plus. Tout à mon observation, j'en oubliais presque la directrice présente à mes côtés.


Ruth Paine

Elle sentait la nervosité gagnait peu à peu ses traits. Elle sentait aussi que Lucien avait perçu un comportement étrange, notamment au soir d'Halloween, elle pensait que c'était lui mais elle n'en était pas sûre et, à la vérité, elle ne préférait pas en reparler de peur de se trahir. Elle avait l'impression que l'antiquaire était un danger pour elle, sans en connaître la raison, il la fascinait et c'était vraiment dangereux.

Elle sentait qu'elle continuait de rougir, alors qu'il n'y avait plus vraiment de raison. Elle toussa pour avoir un prétexte de prendre une grande inspiration mais s'aperçut bien vite que M. Morel était occupé à autre chose que d'observer ses joues rosies. Il semblait totalement fasciné par le livre qu'il tenait, comme s'il était entré dans un monde dès qu'il eût touché l'ouvrage. Elle se prit à le fixer, encore et toujours fascinée par cette présence troublante, un léger sourire s'afficha même. Elle sursauta toute seule.

*Il va me prendre pour une folle.*


- Je ...

*Trouve quelque chose à dire espèce de cruche, arrête de bafouiller sale outre.*
*Ca suffit toi et tes urnes.*


- Visiblement vous êtes dans votre élément, même un aveugle le verrait. Quel est votre diagnostic ? Pour combien de temps vous en aurez à votre avis ? Et quels sont vos honoraires ?

*Arrêtes de parler et de dire des conneries la jarre, c'est pas un médecin.*
*C'était une métaphore.*


Si une troisième Ruth observait le spectacle, elle en déduirait que la vrai Ruth était schizophrène, mais il n'en était rien, elle avait l'habitude de se parler à elle-même. Quoiqu'il en soit, si Lucien ne s'était pas aperçu avant qu'elle était nerveuse, il n'a pas pu le louper. Elle se maudit avant de regarder le plus calmement possible son invité et de lui dire.

- Excusez-moi, je suis un peu nerveuse. Beaucoup de travail et l'espoir de pouvoir afficher la merveille que vous tenez dans les mains.

Elle sourit d'un air gêné, elle sentait qu'elle perdait totalement ses moyens face à l'homme au cœur de tous ses fantasmes. Elle se mordit la langue pour ne pas retourner dans ses délires macabres et attendit une réponse de Lucien quant aux questions posées un peu précipitamment, un peu trop précipitamment.

Lucien Morel

La voix de la jeune femme m'interrompit encore dans mes contemplations. Un "je" hésitant. J'ai tourné la tête vers la jeune directrice en attendant la suite qui ne venait pas. Peut-être l'hésitation de me distraire dans mon observation. J'ai alors consulté les autres ouvrages pour me rendre compte de l'état de la reliure de chacun. La jeune femme se mit alors à parler avec moins d"hésitation, peut-être même un peu de précipitation, je mettais ça sur le compte de l'impatience de voir ces ouvrages retourner parmi les leurs.

- Pour être franc, ce ne sont pas vraiment les livres en eux-même mais l'ouvrage de la reliure qui m'intéresse. Après observation, je pense que je devrais en avoir pour quelque jours si l'on me laisse le temps de me concentrer sur ce travail. Pour ce qui est des honoraires je vous demanderai juste de quoi me procurer le matériel nécessaire.
J'ai reposé les ouvrages, que je tenais encore, soigneusement sur la table avec les autres et je me suis tourné vers la directrice. Je m'apprêtais à lui demander si tout allait bien, elle ne m'avait jamais paru si troublé. En même temps, ce n'était que notre troisième rencontre, la seconde même pour elle, et, je dois bien l'avouer, nos rencontre avaient toujours été plutôt particulières jusqu'ici.

Je n'eus pas le temps de poser ma question qu'elle me rassura d'emblée sur son état en s'excusant. Je me suis légèrement approché pour l'observer.


- Il n'y a pas de raison d'être nerveuse, les dommages qu'ont causé le temps sur ces ouvrages sont loin d'être irréparables, vous pourrez bientôt offrir la chance à d'autre personnes de pouvoir les contempler.

J'ai à nouveau regarder les livres sur la table.

- Deux nuits tout au plus, je suis toujours plus performant une fois la nuit tombée. Mais je préfère ne pas m'avancer et vous dire que vous les aurez sans faute avant la fin de la semaine.


Ruth Paine

La directrice resta interdite l'espace de trois secondes avant d'afficher un sourire on ne peut plus satisfait. Lucien n'avait rien remarqué ou du moins il s'en cachait bien et en plus il allait pouvoir faire le travail en un temps record, Ruth ne pouvait espérer mieux. Ses yeux brillèrent de satisfaction et un soupir significatif la surprit elle-même. Il faut dire que Ruth ne vivait que pour deux choses, ses livres et ses victimes, sans les uns comme sans les autres elle n'était rien.

- C'était inespéré. Si vous saviez combien de temps j'ai cherché quelqu'un comme vous mais personne ne voulait se déplacer jusqu'ici. Je vais faire préparer de quoi les emballer pour le confort du voyage, même court, et nous les livrerons à votre boutique dès qu'il vous sierra. Si vous voulez bien me suivre pour régler les modalités administratives.

Pendant ce temps là, son esprit fonctionnait à plein régime, elle ne pouvait s'en empêcher, elle avait laissé son imagination reprendre le dessus. Il la hantait depuis leur première rencontre, depuis Halloween et cette sensation de l'avoir vu sous les traits de la Mort. Il l'attirait aussi sûrement qu'elle tuait par besoin et non pas par plaisir, même si l'un et l'autre se rejoignaient au final, de même qu'elle lisait compulsivement. Ils n'avaient pas encore pris le chemin du bureau mais les flashs macabres étaient rapides, à peine quelques secondes. Elle essayait de chasser cette image où le rouge dominait largement, rouge sang, rouge passion les deux étaient si liés que Ruth ne faisait pas la différence.

Elle se voyait profiter de lui, un peu plus longtemps que pour les autres, profitait de sa présence si troublante mais inexorablement le couteau fatal se rapprochait de la gorge blanche de la colombe et sa robe de plume se colorait de rouge jusqu'à ce que la dernière goutte soit sortie de la chair.

Un signe quasi imperceptible pouvait la trahir pour tout comportementaliste exercé : sa mâchoire s'était légèrement contracté.

- Bon en route, à moins que vous ne souhaitiez rester un peu avec ces livres.


Ce qu'elle comprendrait parfaitement puisqu'elle-même avait besoin de passer du temps avec certains livres pour mieux les connaître, aussi étrange que cela puisse paraître.

Lucien Morel

On prétend toujours que ceux qui aiment les morts sont frappés d'anosmie. Pour moi, il n'en est rien et mon nez perçoit vivement les odeurs les plus diverses, même si, comme tout le monde, je suis accoutumé à celle de mon entourage au point de ne la plus sentir. Il se peut en effet que l'odeur du bombyx imprègne tout mon appartement, sans que j'en sache rien.

Ici, l'odeur dominante que je percevais, c'était celle des vieux livres qui trônaient en ce moment sur la table, un mélange de poussière, de papier vieilli, de cuir qui ornait les couvertures. Mais je percevais autre chose encore et je me surpris à essayer de faire en sorte que ce soit cette odeur là, qui domine celle du vieux livre. Pour se faire, je me suis rapproché sans trop m'en rendre compte de la jeune directrice, humant discrètement l'air qui l'entourait. C'était son parfum, sans aucun autre artifice pour la couvrir. Pas de parfum agressif ou doux, pas d'huile ou de baume pour masquer l'odeur naturelle de sa peau.

Cette fois encore -ce qui était rare lorsque j'étais accompagné- mon imagination débordait et me laissa rêver éveillé. La voix de la jeune femme me semblait proche et lointaine à la fois, j'écoutais sans l'entendre vraiment, du moins je n'arrivais pas à détacher les mots qu'elle prononçait. Habituellement je n'aimais pas trop parler avec les gens, une légère tare dans mon métier où j'ai besoin d'un contact avec certains clients.

A l'entendre soupirer, des souvenirs m'étaient revenus, si agréablement. Mais à la place, c'est elle que je voyais allongée dans ma chambre. Je me perdis donc un moment dans mes souvenirs transformés, laissant une ou deux minutes s'écouler dans un silence presque pesant, des minutes qui me parurent plus longue mais comme toujours pas assez
.


~ ...
Cette nuit, alors que je m'apprêtais à envelopper la jeune femme pour l'abandonner dans les flots à contre cœur, comme j'ai coutume de le faire, elle a soudain poussé un soupir désespéré, douloureux, prolongé, sifflant entre ses dents, comme si elle eût éprouvé quelque intolérable chagrin de son prochain abandon. Une immense pitié m'a serré le cœur. Ainsi n'avais-je pas rendu justice au charme humble et revêche de cette demoiselle. Je me jetai sur elle, et la couvrit de baisers, repentant comme un amant infidèle. J'allai chercher une brosse dans la salle de bain et j'entrepris de coiffer ses cheveux devenus ternes et cassants, je frottai son corps avec des essences, des parfums. Et je ne sais combien de fois j'ai aimé cette jeune femme, jusqu'à ce que le jour blanchisse la fenêtre derrière les rideaux tirés
... ~

Ce n'est qu'une fois que ma main entra en contact avec les cheveux de la jeune femme pour de vrai que je repris mes esprits. Je m'étais rapproché d'elle sans avoir gardé l'impression d'avoir bougé, mon corps avait agit de lui même l'espace d'un instant, ce court instant où je revivais, plongé au plus profond de mon inconscient, ces instants de rêves avec, non pas ma maîtresse de l'époque, mais la jeune femme devant qui je me trouvais à présent. Ces instant avant la douloureuse séparation.

Il me fallait trouver une explication à mon geste et rapidement, une chaleur douce et significative envahissait mes joues à cet instant, j'avais soudain pris quelques couleurs en me rendant compte de mon geste, très peu car je ne suis pas homme à rougir facilement. Ce qui me dérangeait le plus, à cet instant, se trouvait au niveau de l'endroit où j'étais un homme et ce n'était pas la première fois que cette femme, aussi vivante soit-elle, provoquait ce genre de réaction chez moi.

Sans pouvoir affronter le regard que la jeune femme pouvait porter sur moi, j'ai passé brièvement ma main sur l'une de ses mèches avant de l'éloigner en ayant dans l'idée de m'écarter tout court par la même occasion pour élargir l'espace entre nos deux personnes, sans y parvenir ou à la lenteur d'un escargot, faisant mine de me débarrasser d'une quelconque poussière imaginaire.


- Veuillez m'excuser. Vous aviez quelque chose dans les cheveux.

Pure mensonge, mais il me fallait trouver une parade à mon geste déplacé. L'ennui restait, que j'avais toujours été incapable de mentir. Le regard fuyant, je me suis tourné vers la table pour donner l'apparence que je me concentrais à nouveau sur les ouvrages.


Ruth Paine

Ruth afficha un regard surpris quand Lucien glissa sa main dans ses cheveux. Il n'avait pas répondu et Ruth pensait qu'il était perdu dans ses pensées, cela lui parut donc bizarre qu'il est vu quelque chose dans sa chevelure noire d'autant plus que la pièce est sombre. Ajouté à cela un regard fuyant, le jeune femme était plus que perspicace mais elle laissa couler le geste, qui au final ne la dérangeait pas du tout et afficha un sourire rassurant.

- Merci, dit-elle simplement en réponse à son mensonge effronté.

Elle l'observa quelques secondes de plus, se demandant pourquoi les deux rencontres véritables et celle supposée étaient si étranges et pourquoi à chaque fois elle avait ce chatouillement au bas du ventre qui ne la prenait vraiment que quand elle entendait la lame du couteau frotter contre son fourreau, annonciateur d'un orgasme proche quand la lame pénètre en douceur dans la fine chair du cou. Elle frissonna de nouveau, elle allait de nouveau laisser son imagination prendre le dessus et elle n'aurait plus qu'une envie, se jeter sauvagement sur l'antiquaire pour lui faire sa fête.

Elle se racla la gorge pour se réveiller mais c'était difficile, vraiment difficile. Il avait la peau si pâle, le grain de peau si fin qu'elle avait du mal à ne pas le fixer. Ca ne se faisait pas mais elle se comportait toujours bizarrement en la compagnie de Lucien. Elle toussa de nouveau et réussit à dire :

- Allons dans mon bureau pour s'occuper des papiers, pendant ce temps, je vais demander à ce qu'on emballe les livres.

Elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit laissant entrer un tel flot de lumière qu'elle s'en sentit mal. Elle cligna des yeux puis regarda dans la pièce plus sombre pour voir un Lucien tout auréolé, elle ne s'en sentit que plus mal. Ce soir elle tuerait.

Lucien Morel

Le malaise s'installait de plus en plus alors que la jeune femme continuait à m'observer, je baissai les yeux sur les livres qui étaient mon excuse pour ne pas avoir à croiser son regard.

Comme moi, elle semblait sujet à l'inattention, elle se laissait facilement allez dans ses pensées sans voir le temps s'écouler, ça je l'avais bien remarqué, c'était une sale habitude dont je n'arrivais pas à me débarrasser moi non plus.

A quoi pouvait-elle bien penser aussi intensément, j'avais de plus en plus envie de le savoir, est-ce que c'était moi ou bien était-elle toujours ainsi, difficile à dire, alors que nous ne nous étions rencontré que deux fois, du moins officiellement. Une grand curiosité m'envahit soudain. Je voulais vraiment savoir.

Aussi, je sursautai légèrement quand elle se racla la gorge et fit comme elle par réflexe quand elle se mit à toussoter. Je n'avais pas bien suivi ce qu'elle me disait ensuite, j'étais encore dans la surprise de ce grand sentiment qui m'envahissait, de cette envie soudaine de savoir alors que jusqu'ici, je ne m'étais jamais intéressé à ce que pouvaient penser les gens.

Je fus surpris par le flot de lumière qui envahissait soudain la pièce, je n'avais pas vu qu'elle ouvrait déjà la porte. Avant qu'elle ne passe le pas de la porte, un geste qui m'avait laissé interdit un instant, précéda même ma volonté. Je tenais dans ma main, l'un des frêles poignets pâle de la directrice, je m'étais rapproché en un instant, sans avoir le temps de comprendre. Je l'avais retenue par ce simple geste. Pourquoi ?

L'idée ne me vint que quelques seconde après, mes mots dépassaient encore une fois ma pensée.


- A quoi pensiez vous ?

Une simple geste, une simple question. Un comportement inhabituel de ma part. Je ne comprenais toujours pas, mais de toute façon l'affaire était faite. Les mots s'étaient glissé sur mes lèvres avant même que je n'ai le temps de les penser, ma main la retenait toujours, sans forcer et mon regard était plongé dans le sien cette fois..


Ruth Paine

La situation devenait de plus en plus troublante et compliquée. Le cerveau de Ruth analysait tout à mille à l'heure et s'en suivrait bientôt une migraine comme elle pouvait en connaître les jours de crise. Et aujourd'hui, c'était un jour de crise. Lucien la mettait dans des états seconds complètement dangereux pour elle comme pour lui et elle ne voulait surtout pas, pas maintenant du moins, nuire à l'antiquaire. Elle savait qu'elle commençait à commettre des erreurs à cause de lui et que le plus sûr serait simplement de l'éliminer après avoir assouvi son fantasme mais quelque chose l'en empêchait, elle qui d'habitude n'avait aucun scrupule, l'idée de tuer Lucien la révulsait totalement tout en laissant des images sanglantes au fin fond de sa tête.

Il lui prit le poignet. Comme elle était un peu aveuglée, elle ne l'avait pas vu arriver et sursauta en le sentant. Elle allait lui demander ce qu'il faisait quand il lui demande à quoi elle pensait. Cette question l'interpella tellement qu'elle devait avoir une expression surprise, elle qui normalement essaie de garder un visage neutre. Elle se sentit piégée comme un petit animal, ou comme un enfant pris en faute. Elle le regarda, les yeux écarquillés avant de se ressaisir. Elle ne savait pas encore ce qu'elle allait répondre, puis il lui vint une idée grotesque mais elle dépassa ses lèvres avant qu'elle n'ai eu le temps d'envoyer le signal nerveux à son cerveau : tais toi !

- A vous. Et vous à quoi pensiez-vous ?

Elle le regardait droit dans les yeux, pas vraiment effrayé par ce qu'elle venait de répondre mais plutôt surprise par elle-même. Elle entrait dans un terrain totalement glissant et incontrôlé et bizarrement, cela lui plaisait. Mais elle allait commettre des erreurs et inexorablement la police la retrouverait ...

Lucien Morel

A ma surprise -que j'arrivais parfaitement à cacher-. Elle n'essaya pas de se défaire et je n'avais pas songé à la lâcher. Je fus content de pouvoir enfin voir une expression se dessiner sur son visage, même si le mien restait impassible, ce n'était qu'un apparence. Ce simple geste, le simple fait de pouvoir toucher une peau qui n'était pas froide. Le simple fait de me rendre compte qu'elle avait pu sentir mon geste et qu'elle y avait réagit.

Je n'arrivais, ni à décrire, ni à comprendre le ressenti que cela m'apportait, ça n'avait rien de désagréable mais en même temps, je restais persuadé que ça pouvait être encore mieux. Je n'avais jamais pris la peine d'avoir le moindre contact avec les vivants, il m'était déjà arrivé de distribuer quelques poignées de mains à la clientèle mais seulement quand on me la tendait. Cette fois c'est moi qui avais agi le premier.

Sans la quitter des yeux, toujours impassible, j'étais plus attentif à sa voix cette fois. Mais je ne comprenais pas.


- Quel est l'intérêt de penser à moi, si je suis juste devant vous ?

J'ai doucement défait ma prise sur son poignet en regardant vers celui-ci et vers ma main qui le tenait, l'idée de mon geste pour la retenir restait encore flou, le pourquoi, le comment, mais quelle importance. Je n'ai pas réfléchis longtemps avant de répondre à la question qu'elle m'avait retourné.

- J'étais plongé dans certains souvenirs, cela m'arrive de temps en temps. Je suis quelqu'un de distrait et je me rattache un peu trop souvent aux choses passées. Rien de bien intéressant.

Sur ces mots, je suis passé à côté d'elle dans l'idée de sortir de la pièce le premier, pourquoi ? Alors qu'elle était sur son territoire et que je ne retrouverais sans doute même pas le chemin de son bureau tout seul. Est-ce que je fuyais ? Y aurait-il une raison à cela ? Depuis quand me posais-je autant de questions...


Ruth Paine

Ruth, qui d'habitude adorait cette pièce, se sentit soudain oppressée, comme si elle manquait d'air. Un poids à l'estomac se faisait de plus en plus pesant et présent et elle savait que Lucien en était la cause unique. Il la rendait totalement folle, il fallait le dire, enfin, plus folle que d'habitude, puisque, socialement parlant, tuer les gens comme on mange des pommes était être fou. Ruth assouvissait un besoin comme celui de manger.

En tout les cas, que Lucien prenne l'initiative de sortir semblait la libérer, aussi bizarre que cela puisse paraître. Elle en avait presque oublié ce que l'antiquaire venait de dire. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre à sa question et préféra se taire plutôt que de s'enfoncer un peu plus. Cependant il répondit à la sienne de manière à inspirer une sortie inespéré à la demoiselle.

- Oui, je suis pareil, je ne pensais pas à vous dans le moment présent mais je me rappelais notre rencontre dans la crypte.


Elle sourit et passa devant Lucien sans plus de cérémonie. Ils refirent le trajet inverse vers le bureau dans un silence quasi religieux et Ruth en était gênée. Elle ne savait vraiment plus quoi penser de cet homme, de leurs rencontres, de leurs dialogues et de leurs réactions. Elle se demandait qui était cet homme, qu'est-ce qu'il cachait sous ses traits impassibles et son intelligence évidente. Sans savoir pourquoi, Ruth sentait en Lucien un alter égo, elle ne savait d'où lui venait cet impression.

Ils arrivèrent devant la porte d'un bureau que Ruth ouvrit mais resta à la porte. Elle dit en quelques mots à la personne à l'intérieur d'aller préparer les livres pour leur transfert chez l'antiquaire. Quelques brèves paroles plus tard ils repartaient pour quelques pas vers le bureau de la directrice. Elle en ouvrit la porte en laissant le passage à Lucien.

- La partie la moins intéressante est devant nous, dit-elle pour détendre l'atmosphère.

Lorsqu'ils furent tous deux dans le bureau, elle ferma la porte et invita l'antiquaire à s'asseoir. Elle alla elle-même s'installer dans son fauteuil de bureau et se massa légèrement les tempes avant de prendre un tas de papier.

- J'ai préparé une convention basique pour se mettre en accord sur le contrat. Il y aussi le contrat en lui-même, cependant il n'est pas rempli, je dois savoir combien vous souhaitez être payer pour votre travail. Et enfin les papiers d'assurance. Si vous avez besoin de temps pour y réfléchir, ce n'est pas un soucis. Mais on peut déjà lire ces différents papiers, quoique l'assurance ce ne soit pas la peine, vous devez signer pour qu'on est la pleine charge en cas de dégâts. Le reste fait à peu près cinq pages.

Elle plissa les yeux, la migraine guettait et n'allait pas tarder à passer à l'attaque et à ce moment précis, Ruth avait l'envie de rentrer chez elle et de se fourrer sous sa couette. Le flash qui accompagna sa pensée était inattendu et surprenant : elle voyait Lucien l'attendre, endormi dans son lit. A cet instant précis la migraine explosa et le champ de vision de la directrice se tacha de petites mouches noires.

Lucien Morel

J'ai suivi la directrice jusqu'à son bureau, reprenant doucement le contrôle sur mon corps qui ne s'était -heureusement- pas trop fait remarqué. Je pris les devants pour suivre son invitation et me suis installé. Je n'étais pas spécialement habitué à la paperasse, les rares clients qui me demandaient de restaurer une œuvre, se fiaient quasiment entièrement à mon expérience mais pour les œuvres qui appartenaient à une bibliothèque public, ce n'était pas la même chose.

J'ai parcouru les documents sans manquer le moindre mot, concentré et plongé dans ma lecture, mes yeux filaient sur les lignes, ma main tournait les pages. J'étais comme seul avec les document dans la pièce, jusqu'à se que ma bonne main attrape un stylo pour signer d'un geste assuré, j'ai ensuite tout fait glissé en direction de la directrice.


- Tout cela me semble correct..

Je ne voulais plus rester, ou plutôt, je ne pouvais plus. La pause était terminée, dieu que le temps file quand je ne suis pas entouré de toutes mes vieilleries dans cette boutique sombre. Doucement je me suis levé, légèrement incliné pour saluer la jeune directrice. Je me suis assuré de l'implacabilité de mon costume par habitude avant de me tourner vers la porte. Il n'était pas nécessaire de me raccompagner, je connaissais le chemin à présent.

- Je vous laisse donc vous charger du reste pour le transport des livres jusqu'à mon lieu de travail. Bonne continuation à vous Miss Paine.

Je repris donc le chemin de la sortie sans me retourner, le pas plus accéléré que je ne l'avais prévu, pourtant il me restait du temps avant la réouverture. Un simple signe de main pendant que l'autre attrapait la poignée et j'avais déjà disparu derrière la porte, restant un instant appuyé contre celle-ci, respirant un bon coup avant de sortir de la bibliothèque pour rentrer.


Ruth Paine

Le temps avait passé vite jusqu'à ce qu'ils entament la partie papier. Certes Lucien devait tout lire mais Ruth ne savait pas quoi faire en attendant. Elle ne voulait pas le regarder de peur de voir son esprit s'égarer de nouveau tandis que l'implacable désir s'annonçait de plus en plus difficile à contrôler. Pour éviter tout chute dramatique pour son esprit, elle se saisit d'un tas de feuilles sur lesquelles elle apposa un tampon puis une signature. Cette tâche l'occupa jusqu'à ce que M.Morel prit un stylo et signa les papiers.

- On fait comme ça ! Les livres arriveront chez vous dans quelques heures.

A peine lui eut-elle répondu qu'il avait déjà passé la porte. Un peu surprise par tant d'empressement et un peu soulagée de se retrouver quelques minutes, Ruth alla ouvrir la fenêtre et prit une grande bouffée d'air frais pour se rafraîchir, l'esprit, le cerveau et le reste. Il fallait bien avouer que ça bouillonnait plus bas avec quelques réactions purement féminines dues à une grande excitation.

La frustration s'ensuivit directement. L'image de se jeter sauvagement sur l'antiquaire restait gravée comme visible à chaque instant devant ses yeux.

Elle se rassit brusquement sur sa chaise et se saisit de son couteau. Elle le contempla avant d'appliquer le plat de la lame contre son front. Elle frissonna au contact froid du métal et cela lui fit un bien fou. Elle regarda l'horloge et décida qu'il fallait faire une sieste. Elle était fatiguée de tant d'émotion...

By Miss Belzy & Gwen Paine

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Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. Uniquement les textes Ruth Paine.

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