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mercredi 11 novembre 2009

Un Couple Funeste - Chapitre 1 - Imagination débordante

Lucien Morel


Vu chez mon voisin, le libraire, une estampe galante du XVIIIe siècle - une nonne besognée par un moine - qui me donna l'envie d'aller visiter la crypte des sœurs. Il faisait une chaleur suffocante, orageuse, et tout semblait dormir. La grille était grande ouverte et j'entrai sans être vu. L'escalier des galeries était plutôt raide et glissant mais je m'y engageai tout de suite.

Sur mon chemin, je trouvai la Circoncision (un tableau) , qui me désola car elle avait été refaite vers 1890 par quelque rustre badigeonneur. Il avait habillé de neuf les personnages de la scène, retouché l'architecture, introduit des draperies de style tapissier dans l'ouverture des fenêtres par lesquelles on avait jadis entrevu les maremmes vénitiennes. C'était à en pleurer et je ne pouvais rester une minute de plus à contempler une telle vision d'horreur. Aussi je décidai de continuer ma route entre les murs étroits de la galerie. Tout en marchant, je laissais une de mes mains glisser le long de la paroi, les yeux clos, pendant que mon esprit se laissait bercer par mon imagination. Je m'étais laissé emporter dans quelques divagations, m'imprégnait de l'ambiance des lieux et en rouvrant les yeux...

L'allée centrale était occupée par une civière arrangée en catafalque et sur laquelle reposait une religieuse, sans doute provisoirement laissée seule par les sœurs qui devaient la garder. Bien que morte, cette nonne au ventre gonflé comme une outre, au visage qui semblait issu du crayon de Daumier, m'inspira une vive répulsion. Elle portait l'habit de son ordre et ses sœurs l'avaient coiffée d'une couronne de grosses roses en papier, pour signifier qu'elle était vierge. La patronne d'un restaurant où j'avais déjeuné un jour m'avait raconté des choses assez horribles sur l'hystérie et l'insigne méchanceté des nonnes, à l'égard des orphelins qu'elles hébergeaient parfois. De toutes les mortes que j'ai vues, cette nonne fut la seule qui ne m'inspira ni sympathie ni tendresse : la méchanceté suintait de sa personne tout entière. Je notai l'image avec déplaisir, m'étonnant seulement de la fréquence avec laquelle le nécrophile rencontre la mort, l'ivrogne la bouteille, le joueur les cartes.

A l'instant où je faisais cette réflexion, une personne entra dans la crypte, dans la même seconde où un formidable coup de tonnerre se fit entendre et où une pluie torrentielle tentait de pénétrer brusquement jusque dans la crypte. Après une brève hésitation, je voulus rapporter mon attention sur la nonne qui devait se trouver à mes côtés, mais... La vision avait disparu et un soupire las m’échappa. A l'extérieur, les cloches sonnaient comme pour chanter avec l'orage.



Ruth Paine


Il y a une chose qui chagrinait Ruth, c'était sa force physique. Elle avait des difficultés à porter ses victimes pour les cacher, ce qui, ce soir, était le cas.

- Pourquoi doivent-ils toujours être des tas de graisses. Ras-le-bol de ces déchets puants.

Elle voulait le planquer dans la crypte, le temps que quelqu'un y passe, il ne serait pas découvert de suite. Surtout qu'il y avait une cachette idéale, un petit couloir que personne n'empruntait car obstrué et duquel une odeur infecte se dégageait. On mettait en cause les rats. On ne devrait pas. Ces pauvres rongeurs n'y sont pour rien.

Elles descendit les marches un peu trop lourdement à son goût, mais il faut dire qu'il était pas léger l'autre imbécile. Elle faillit tomber aussi mais se rattrapa de justesse. Encore quelques pas et elle y serait. Elle ne savait évidemment pas qu'il y avait quelqu'un un peu plus loin, elle ne s'inquiétait donc pas d'être surprise.

Elle laissa tomber le corps lourd sur le sol de l'étroit passage puis s'en retourna dans le couloir principal. Il faisait fort sombre à cause de la nuit qui avait pointé son nez depuis un bout de temps déjà, sans parler de l'orage qui craquait fortement depuis le début de soirée. Il devait être à peu près 22 heures. D'habitude, Ruth ne commet ses forfaits que vers minuit mais là, sa victime était précoce. Pas de veine.

Elle fit claquer ses talons assez rapidement non pas dans la direction par où elle était venue mais vers l'autre sortie de la crypte. Elle passa devant le tableau sans même lui accorder un regard, elle connaissait pas cœur cette horreur de l'art pictural. Elle avait aussi pris le temps de ranger son couteau de chasse dans son fourreau caché en haut de sa cuisse droite vers l'intérieur. Elle savait qu'elle avait une tenue impeccable, aucune trace de sang. Il n'y a eu qu'une seule fois du sang, c'était son premier meurtre, son premier orgasme. Après elle a bien fait attention, pour ne pas laisser de trace.

Elle portait sa tenue de cuir noir, qui faisait même un peu latex dans la nuit. Elle avait un effet d'attire-moucheron sur les hommes qui ne pouvait détacher leur regard de ce corps moulé dans cette tenue aguichante. Piège fatale, l'araignée les mangeait avant de les tuer.

Elle aperçut une vague silhouette un peu plus loin. Elle s'arrêta brusquement et se crispa avant de reprendre un air naturel et de se diriger vers l'inconnu.

*Une autre proie peut-être ?*

Elle ne tuait qu'à peu près une fois par mois, c'est pourquoi elle était un peu réticente à l'idée de recommencer ce soir-là. Elle verrait comment les choses arriveraient.

- Bonsoir...

Lucien Morel


En ces lieux, il n'y avait qu'une faible lumière qui pénétrait dans la pièce à chaque coup de tonnerre. Avec un tel orage, pas le temps de compter entre le moment où l'ont percevait le son et celui où l'on percevait la lumière, ils étaient bien synchrone, l'orage devait être proche.

Le temps de l'éclair, la personne qui se trouvait là n'avait pas bougé, comme figé dans ce mince rayon de lumière bleutée, je n'avais pas eu le temps de la distinguer. Ce ne fut qu'à l'éclair suivant que je pus constater qu'elle avait changé de place et qu'elle se rapprochait de moi.

Je n'avais pas bougé, je restais planté au milieu de la pièce et vérifiais encore une fois que ma vision avait bel et bien disparue, encore une qui n'était qu'éphémère. Lorsque les cloches se turent après avoir sonnés 22 coups à peu près. Je pus entendre la voix de l'inconnu, c'était une voix féminine à l'intonation calme. Elle faisait preuve de politesse malgré cette rencontre incongrue en plein cœur des cryptes, endroit à mon sens peu visité.

Je lui répondis donc tout aussi poliment sans autre formalité physique, étant de toute façon dans l'obscurité elle n'aurait pas vu le salut à son intention.

- Bonsoir.

Un éclair plus long traversa le ciel et la lumière qui éclairait faiblement la pièce persista quelques secondes supplémentaires cette fois, le temps que je puisse vaguement observer à qui j'avais à faire. Pas de doute sur le fait que c'était bien une femme, la lumière de l'orage me renvoyait quelques faibles reflets de sa tenue de cuir en me révélant ses formes. Je profitais donc de cette luminosité pour la saluer comme il se devait, m'inclinant très légèrement, moi , mes manières et ma tenue d'un autre temps. Quel vieux garçon je faisais.

Après ce bref salut, la lumière s'en était allée et maintenant que je n'étais plus seul, l'obscurité me dérangeait. Je me suis approché de l'une des parois humides de la crypte pour longer celle-ci en laissant courir ma main sur le mur froid. Je connaissais plutôt bien les lieux et j'y avais laissé quelques secrets. Ma main rencontra enfin ce que je recherchais, un petit coffre que j'avais enfoncé dans l'un des interstice de la roche, je le sortis de sa cachette et l'ouvris pour en sortir des bougies. Tout en vérifiant d'une main que la mèche était sèche, je fouillais de l'autre dans la poche de mon pantalon pour en sortir une boîte d'allumette. J'en sortis une et la fis craquer contre la boite avant d'allumer la bougie, laissant la chaleureuse lueur de sa flamme éclairer mon visage dans la pénombre. Avec tout ça, je m'étais éloigné de l'inconnue et je l'invitais d'un signe à me rejoindre dans la clarté.

- Vous seriez-vous perdu ?


Ruth Paine


Après lui avoir répondu, l'inconnu se dirigea en longeant le mur, éclairé par intermittence grâce aux éclairs. Il sortit d'une cache un coffret dans lequel étaient cachées des bougies. Ruth frissonna en pensant que cette crypte était plus souvent visitée qu'elle ne le pensait. Elle ne laissa cependant rien transparaître de son trouble mis à part ce frisson et se rapprocha de la source de lumière et de chaleur.

- Pas vraiment, répondit-elle d'une voix faible. Je préfère les cryptes aux orages.

Elle fixa la flamme un court instant. Elle avait toujours aimé l'ambiance qu'offrait la lueur des bougies dans un lieu sombre. Elles créaient une atmosphère intime et chaleureuse, même dans cette crypte. Mais Ruth craignait un peu d'éclairer l'endroit. Elle s'y promenait toujours dans le noir, elle pouvait laisser n'importe quel indice de ses nombreux forfaits.

*Je vais devoir explorer la ville et trouver une autre cache. Quelle poisse. Je pourrais le tuer mais comment saurais-je si personne d'autre ne vient ?*

Elle secoua la tête et fixa quelques secondes l'obscurité. Elle s'était éblouie à fixer la flammèche dont l'image restait dans son champ de vision comme une illusion mouvante. Et fermer les yeux ne changeait rien à l'affaire. Elle finit par reposer ses yeux sur le visage de l'inconnu sur lequel la flamme dansait. Le spectacle lui donna envie de sourire mais elle se contint.

- Je m'en allais vers l'autre sortie. L'odeur est insupportable là bas. Elle désigna le couloir derrière elle d'un signe de la main.

*Avec cette lumière, il pourrait voir quelque chose.*

- Cet orage ne semble pas vouloir se calmer.

Elle essayait de parler mais il fallait avouer qu'après avoir accompli un meurtre, elle avait quelques difficultés à se concentrer sur autre chose que la jouissance qu'elle ressentait.

- Je... Le tonnerre m'effraie un peu, je m'excuse de ma nervosité.

*Trouver quelque chose, une excuse... que fait-il ici ? je peux pas demander ça comme ça... Quelle poisse ! S'il va de l'autre côté je devrais le tuer... et là... pas envie...*

- Vous vous êtes réfugié vous aussi ? Enfin, vous allez me dire que se réfugier dans une crypte est quelque peu tordu.

Elle fit un sourire amusée.

*Je dois être assez convaincante. On verra.*


Lucien Morel


J'écoutais avec attention la réponse de la jeune femme, observant distraitement son visage dans la chaleureuse et faible lumière dansante de la petite flamme. A un moment, je dus lever la main pour entourer la petite flamme de protection, un vicieux courant d'air s'était faufilé jusque dans la galerie et menaçait de souffler cette faible lumière.

D'après sa réponse, j'en conclus qu'elle s'était simplement abrité, au premier endroit qui s'offrait à elle, contre l'orage. C'est vrai que celui-ci semblait pluvieux, furieux, et si la pluie était aussi acharnée que les éclairs, il ne valait mieux pas se trouver en dessous. J'observais la flamme pour surveiller que ma main puisse toujours la protéger des petits coups de vents qui s'engouffraient.

Alors que le silence s'était installé quelques secondes et que l'autre personne observait mon visage, je m'étais surpris à jeter un petit coup d'œil au centre de la pièce, quelque fois que la nonne serait revenu, mais rien. Je fermais un court instant les yeux d'un air las en laissant filer un soupir, puis la voix de l'inconnue me parvint à nouveau.


- Je peux vous prêter l'une de ces bougies pour que vous puissiez vous éclairer jusqu'à la sortie.

Puis je levais le nez vers le plafond humide, comme si j'étais capable d'observer les intempéries à travers la pierre. Toujours aucun laps de temps entre les éclairs et les craquements de la foudre.

- Il ne semble pas prêt à s'éloigner.

En entendant la jeune fille balbutier légèrement, je rapportai mon attention sur son visage, je n'avais jamais craint l'orage, le noir oui, j'en avais un peu peur mais curieusement, pas dans les cryptes. Je m'y sentais bien.

Avant de lui proposer mon aide, je décidai de répondre à ses interrogation, on ne croisait pas souvent du monde dans ces cryptes, une personne ou deux devait y venir de temps en temps mais si peu.


- Je n'y vois rien de tordu, lorsque j'ai besoin de me retirer dans l'obscurité un moment, il m'arrive de me réfugier ici, surtout quand je sens l'orage approcher. Contrairement à vous, le tonnerre m'apaise et me berce. Lorsque je suis dans le noir je peux laisser libre coure à mon imagination.

Maintenant que j'avais apporté des réponses, je me souvins qu'elle semblait mal à l'aise à cause de l'orage et pris une seconde bougie dans la boite, la lui tendant avec les allumettes.

- Je peux vous accompagner vers la sortie si vous le désirez.

Depuis le début de cette rencontre, comme à mon habitude d’ailleurs, mes expressions étaient neutres, presque inexistantes et mon ton quasiment monocorde. Si l’on cherchait bien, la seule expression qu’on aurait pu lire serait la déception, celle qui me prenait à chaque fois que mon imagination me jouait de vilains tours pour me laisser finalement seul avec moi-même. Ce qui cette fois n’était pas complètement le cas.


Ruth Paine

L'inconnu restait calme, serein et semblait parfaitement gober la fausse excuse de la meurtrière. Sa tenue de cuir quelque peu brillant lui donnait un air de loubard et pas l'air de quelqu'un d'effrayé par le tonnerre, les éclairs, l'orage. Mais il y avait tant d'étrangeté dans ce monde qu'il n'était plus étonnant de voir une frêle demoiselle se promenait en tenue de cuir presque latex et pour peu que l'inconnu soit intelligent il se dira: "l'habit ne fait pas le moine."

Ruth pensait trop, elle avait toujours beaucoup trop penser. Elle ne réfléchissait pas quand elle tuait, c'était mécanique, instinctif, purement bestial, mais pour le reste, son cerveau fonctionnait à deux cents à l'heure. Le fait qu'il ne trouve pas les cryptes tordues lui plut énormément. Elle adorait cet endroit, au-delà de la puanteur qu'elle était, pour le moment, seule à pouvoir expliquer. Et bizarrement, elle se sentit obligée de se justifier auprès de cet inconnu qu'elle semblait apprécier et qui se faisait protecteur. Elle le remercia pour la bougie.

- Je ne trouve pas non plus que venir dans une crypte pour se réfugier soit tordu. Je vous ai dit ça parce que les gens trouvent étrange que je vienne dans cet endroit que ce soit en cas d'orage ou simplement pour me reposer l'esprit et réfléchir... et sentir cette odeur immonde aussi.

Les bougies illuminaient chacun de leur visage et tout comme Lucien, Ruth protégeait la flamme de sa main. Il se proposait pour la raccompagner vers la sortie. La veine pour Ruth qui choisirait l'autre sortie, un peu plus éloignée, mais la jeune femme s'en fichait et puis elle était assez intelligente pour d'emblée trouver la meilleure des excuses. Mais il n'y avait guère besoin de beaucoup d'intelligence pour cela.

- Un peu de compagnie ne peut faire de mal à personne. Si ça ne vous dérange pas, allons vers la sortie là-bas - elle désigna le couloir opposé à celui où était déposé le cadavre. Comme l'orage ne semble pas vouloir se calmer nous aurons un peu de temps pour parcourir cette crypte et discuter, si ça ne vous dérange pas.

*Où est-ce que je peux bien aller pour cacher mes bêtes de sexe? Si même dans une crypte ils ne sont pas en sécurité... Et puis j'ai du boulot à la bibliothèque, ce nouvel arrivage de trésor... je vais devoir appeler un restaurateur... la ville ne m'alloue pas assez d'argent pour ça, ils sont marrant eux...*

Elle avait fait quelques pas tout en pensant intérieurement et n'avait pas fait attention si l'inconnu aux bougies la suivaient ou pas. Elle se retourna vers lui et lui demanda de but en blanc:

-Que faites-vous dans la vie ?

*Je déteste les questions banales, mais ça peut parfois mener à des discussions très intéressantes et des découvertes inattendues.*

Elle souriait, tel un ange en habit de diable. Sa pâleur nocturne était accentuée par sa tenue et ses cheveux noirs, tout comme ses yeux étaient les ténèbres en personne... ou presque, il y faisait plus noir qu'une nuit sans lune et sans étoile. Et avec ces yeux, elle aimait fixer ceux des autres. Si certains, comme Lucien, étaient les champion de l'expression neutre, que ce soit dans les yeux ou sur le visage, Ruth avait des pupilles insondables et désagréablement sombres. Elle le savait et s'en servait, surtout juste avant de tuer. On y sentait toute la haine et la rage que la jeune femme ressentait à l'égard du monde entier. Mais les hommes, ces idiots, la trouvaient si envoûtante. Ils adoraient surtout sa paire de cuisse et sa poitrine généreusement offert par un décolleté soigneusement choisi. Elle ressentit l'envie de se voir de nouveau supérieur au genre masculin, le possédait grâce à quelques bouts de tissu en trop ou en moins... c'était jouissif rien que d'y penser.

Elle se surprit à afficher un sourire sournois qu'elle effaça aussitôt.


Lucien Morel


Je n'avais qu'à la suivre, je connaissais ces cryptes comme ma poche et elle semblait, elle aussi, plutôt bien les connaître. Il est vrai que ce chemin était un peu plus long que celui que j'imaginais pour sortir mais comme elle l'avait dit, l'orage ne semblait pas prêt à vouloir se calmer alors autant en profiter.

- Pourquoi pas.

Je regardais devant moi, la jeune femme avait déjà ouvert la marche sans prêter attention au fait que je la suive ou non, finalement elle ne semblait plus si effrayé par l'orage, ou bien ma seule présence lui suffisait à se rassurer, ou encore était-ce peut-être la faible lumière qu'offraient les deux bougies que nous tenions chacun.

Tout en protégeant toujours la petite flamme de ma main, je profitais de la vue que m'offrait cette faible luminosité, entre deux éclairs je pouvais en profiter sous d'autre tons. Il ne fallut pas longtemps à mon imagination pour me jouer un nouveau tour et je m'évadais comme à l'instant où la jeune inconnue m'avait surpris près de la bonne sœur, cette dernière maintenant effacée en un coup d'éclair.

Comme je m'engageais dans une galerie juste après mon guide, que j'avais perdu de vue un court instant, mon attention fut soudain sollicitée par le manège que je percevais -je le croyais du moins- chez l'inconnue. Un genou posé sur une chaise au dossier de laquelle elle s'accoudait, la croupe saillante, le cou tendu, elle approchait son visage jusqu'à toucher une tête de mort posée sur une cimaise imaginaire. Le profil de la jeune femme et celui du crâne se détachaient nettement sur la faible lueur des bougies, la bouche de l'une posée en ventouse sur le sourirede l'autre.

La femme avait réussi à introduire dans la mâchoire sa langue que je voyais en contre jour, lécher et frétiller entre les dents du mort, incurvée, pointée comme cette corne de corail, le vieux symbole phallique que certains portent contre le mauvais œil.

Tantôt la femme ramenait cette langue que je devinais étonnamment dure et charnue, jusque sur les incisives du mort, la promenant tout le long de la denture extérieur comme un main caresse un clavier, tantôt la plongeant aussi loin qu'elle pouvait pour lécher l'intérieur des molaires et la voûte du palais.

Tout à son plaisir, elle ne m'avait pas entendu approcher. Je l'observais quelques temps mais elle remarqua soudain ma présence et se retourna vers moi.

Sorti à nouveau violemment de ce songe par une voix, je m'aperçus que la jeune femme s'était belle et bien tournée vers moi mais tout le reste du décor avait disparu.
J'eus tout juste le temps de répéter les mots qu'elle venait de m'envoyer dans ma tête pour recomposer sa question avant de répondre, légèrement confus sans trop le laisser paraître.


- Je suis Antiquaire, vous connaissez peut-être le Bazar des Rêves ?

Ce que le spectacle, même imaginaire, et le lieu avaient d'insolite, joint à l'euphorie ressentie dès mon entrée dans les cryptes, me causèrent l'effet auquel un nécrophile peut s'attendre. Je désirais cette femme, bien qu'elle fût vivante. Je voulais découvrir si sa peau était aussi lisse au toucher qu'à la vue et bien que je ne laisse rien voir de cette envie, n'importe quelle personne qui connaissait vraiment très bien les hommes aurait pu le découvrir sans trop d'efforts.


Ruth Paine

La jeune femme avait bien cru voir approcher en silence l'homme qu'elle avait rencontré et tandis qu'il lui répondait, elle sentit bien non pas un malaise mais comme un petit indice que tout homme laisse échapper lorsqu'il la désire, elle. Elle le sentait quasiment tout de suite et bien que ce fût quelque peu différent avec celui-ci - elle n'avait pas envie de lui passer un couteau sous la gorge et de lui dessiner un sourire.

Elle lui sourit donc, ne laissant rien paraître de son ressenti quant à lui et lui répondit à son tour.

- Oui, je connais de réputation ! Seriez-vous le gérant ?

*S'il travaille là-bas, on va le garder en vie, les antiquaires se font rares et ils sont plein de ressources. En tant que directrice de la bibliothèque, je me dois de le garder dans mes relations.*

Elle continuait d'avancer assez lentement pour que l'orage ait le temps de passer. Elle faisait l'effort de ne pas sursauter à chaque détonation mais la compagnie de l'antiquaire y était pour beaucoup dans le fait qu'elle se sentait un peu rassurée. Elle reprit la parole avant de lui laisser le temps de répondre.

- Vous seriez habilité à restaurer la reliure d'un livre ?

Les antiquaires étaient aussi, parfois, des restaurateurs d'œuvres. Il suffisait qu'elle soit un tantinet chanceuse - et lui aussi- pour qu'il le soit. Elle aurait ainsi quelqu'un avec qui passer un contrat - elle recherche activement un restaurateur mais c'est une espèce rare - et il aurait la vie sauve à jamais en sa compagnie.

Elle s'arrêta subitement et l'observa sans même se cacher, le dévisageant. Elle était déjà passé devant le Bazar des Rêves sans y pénétrer, non pas que l'envie lui manquât mais le temps surtout. Son regard s'illumina soudain parce qu'elle le reconnut - elle l'avait vu même sans y pénétrer.

*On rencontre vraiment des personnes intéressantes dans les cryptes.*

Encore une fois elle ne lui laissa pas le temps de répondre, persuadée que ce serait à la positive pour chacune de ses questions. Elle n'avait malheureusement pas apporté de carte avec elle. Ce n'était pas vraiment utile en général lorsqu'elle chassait.

- J'ai besoin de vos talents Monsieur ! Je suis la directrice de la bibliothèque de la ville !

*Imprudence, je ne suis pas vraiment dans une tenue tout à fait spécifique à ce métier, ni dans un lieu "fréquentable" quoiqu'il aime s'y promener apparemment.*

- Je vous prie de garder secret mes aventures nocturnes dans les cryptes. Surtout vis-à-vis de mes employés.

*Je donne un naturel un peu affolé depuis le début de la rencontre. Foutu orage, je suis vraiment pas à l'aise.*

- Excusez ma nervosité mais cet orage y est pour beaucoup. Mais j'ai l'impression qu'il commence à s'éloigner.

*Mais je parle trop, tais-toi vieille imbécile.*


- Vous pouvez m'aider n'est-ce pas ? Pour les livres je veux dire.

La jeune femme bafouillait, parlait vite, ne se contrôlait pas vraiment, ce qui était assez inhabituel chez elle. Soit l'antiquaire lui faisait un drôle d'effet, soit l'orage avait semé de l'électricité dans ses neurones. Optons plus pour la première solution, l'antiquaire la troublait réellement ce qui la fâchait quelque peu. Elle le regarda de ses yeux d'une profonde noirceur que la lumière des bougies faisait quelque peu briller et qui faisait ressortir un peu plus sa pâleur naturelle. Elle attendait une sorte de réponse à ses questions auxquelles elle avait apporté elle-même des réponses dans sa nervosité. Elle sourit d'un air totalement gêné.

*Il a l'air si... froid. Non... ne craque pas.*


Lucien Morel


Le manque de réaction de la jeune femme sur mon état me rassura quelque peu, mais ça ne changeait rien à cet état justement. Je pris sur moi pour tenter de me calmer doucement, écoutant le son de sa voix comme si elle venait d'un peu plus loin. A sa première question, je me contentai d'acquiescer doucement à l'affirmatif, je craignais que ma voix ne trahisse quelque chose. Puis la jeune femme sembla perdu quelques secondes dans ses réflexions. Moi je me contentais de la suivre en la regardant le moins possible.

Elle avait ralenti son avancée, puis le son de sa voix me parvint à nouveau. Restaurer des reliures ? Ça m'était déjà arrivé de le faire, c'était d'ailleurs le seule type de restauration que j'osais faire, les tableaux c'était bien trop risqué et je n'étais pas artiste, les reliures, je l'avais appris de mon père. Sûr de ma réponse, j'entrouvris les lèvres pour lui répondre avant de sursauter légèrement manquant de souffler la flamme de ma bougie. La jeune femme venait de se retourner si brusquement que je m'en était saisi sur le moment. Elle me regarda à nouveau, plus insistante cette fois, mes lèvres étaient toujours entrouvertes, figées par la surprise dans leur mouvement. Je ne comprenais pas bien son comportement si brusque et le fait qu'elle me dévisage ainsi me mettait encore plus mal à l'aise.

Quoi qu'il en soit, je n'eus pas le temps de lui donner ma réponse qu'elle repristla parole, elle semblait insister. J'appris alors qu'elle était la directrice de la bibliothèque et compris pourquoi elle m'avait posé la question précédente. J'étais un peu perturbé, tant de choses en même temps, moi qui n'était pas habitué au contact avec les gens hors de ma boutique et encore moins dans un lieux aussi insolite. La jeune femme ne s'arrêta pas pour autant de parler sans me laisser le temps de placer un mot. Je la laissais donc finir et préparais mes réponses pour la fin. Je compris alors ce qui l'avait mis dans un tel état que je n'arrivais pas moi-même à définir, j'avais pensé à de l'enthousiasme quelque part mais elle avait une façon étrange de l'exprimer.

Puis, comme pour la rassurer, un très léger sourire se dessina sur mes lèvres, finalement toutes ses questions pouvaient se résumer en une seule et même réponse de ma part.


- Je veux bien tenter de vous rendre service dans la restauration des livres. Mademoiselle ?

Je me disais qu'après de tels discours, on pouvait bien commencer à faire les présentations et puis ce n'était pas tout les jours que l'on pouvait croiser du monde dans les cryptes, et c'était une chose plutôt intéressante. Comme nous nous approchions de la sortie et que l'orage semblait s'éloigner, avait fait remarquer la jeune femme, il était peut-être temps de se séparer ? Ou pas ? Quelque part, j'espérai sans savoir, que non et en même temps, nous avions tout deux des choses à faire ailleurs.



Ruth Paine

Ruth était heureuse de sa trouvaille, enfin, de la rencontre qu'elle venait de faire. Ce genre d'homme était d'une rareté affligeante, s'il y avait plus de restaurateur de livres, elle ne devrait pas stocker des merveilles à l'abri de toutes mains. Elle souriait, réellement satisfaite.

- Si on m'avait dit que je rencontrerais un antiquaire restaurateur de livres dans une crypte... Déjà rien que le fait de trouver un restaurateur de livres est un pur miracle ! Mademoiselle Ruth Paine, mais Ruth me convient parfaitement !

Elle avait une irrésistible envie de lui parler des livres qu'il faudrait restaurer mais l'orage semblait s'être apaisé. Et si elle aimait les cryptes, elle commençait à se sentir un peu enfermée. La lueur des bougies était apaisante mais étouffante aussi.

- Le temps est redevenu calme. Que diriez-vous d'aller prendre un peu l'air ? Et puis je dois rentrer, demain j'ai du travail.

Elle sourit, elle allait lui donner rendez-vous, il fallait qu'il passe à la bibliothèque dans les plus brefs délais. Cependant, elle évitait de regarder son visage qui la fascinait. Elle sentait une réelle attirance pour lui mais elle avait déjà eu son compte ce soir et elle devait le préserver, elle avait besoin de lui.

- Quand pouvez-vous passer à la bibliothèque? D'ailleurs, comment vous appelez-vous ? Je ne vous l'ai pas demandé. Nous établirons notre plan de travail comme cela, et nous ferons les contrats, la mairie me demandait de faire restaurer ces ouvrages, mais je ne trouvais personne capable de le faire.

Tout en parlant elle se dirigeait vers la sortie, cependant cette fois-ci elle s'assurait que son interlocuteur la suivait.

*Ne le perdons pas.*


Elle se forçait à ne pas s'imaginer sur lui, à ne pas imaginer ses caresses, sa peau qui paraissait si pâle dans ces ténèbres. Elle s'efforçait de ne plus le fixer, de peur de voir couler de sa gorge des filets de sang. Elle ne voulait pas avoir envie de le tuer, elle ne voulait pas avoir envie de lui, mais pour ce point là, c'était bien trop tard. La fascination qu'elle avait pour lui avait déjà jouer dans la balance. Il avait un charme si imposant qu'elle se dit que peu de femmes devait résister à l'attraction.


Lucien Morel


La jeune femme semblait ravie de sa rencontre improbable dans les cryptes, moi même, je devais avouer que trouver une directrice de bibliothèque, ainsi accoutrée et dans un tel endroit m'avait plutôt surpris, mais je n'en dit rien. La jeune femme se présenta dans les règles de l'art et je pus enfin prendre connaissance de son identité.

Je n'eus pas le temps de me présente à mon tour, qu'elle me fit remarquer que l'orage s'était calmé, j'ai répondu d'un simple signe de tête affirmatif, il était temps de sortir de là, de profiter de la nuit à l'extérieur, de faire un tour au cimetière peut-être, en espérant ne pas y faire une nouvelle rencontre bien que celle-ci ne m'ait pas déplus, loin de là.

En reprenant son discours pour me demander quand j'aurais l'occasion de venir à la bibliothèque, elle se rappela que je n'avais pas eu le temps de me présenter. Elle ne s'arrêtait plus de discuter maintenant, motivée, sans doute, par l'idée de pouvoir revoir ces ouvrages en état. Je ne dis rien, et accélérai le pas pour arriver à son niveau avant de lui passer devant, réduisant la distance entre nous et les deux bougies éclairaient maintenant nos deux visages en même temps. Doucement, j'ai déposé mon index sur mes lèvres, nous nous étions approché, en chemin, d'un endroit particulièrement calme de la crypte, il restait quelque vieux tombeaux juste avant la sortie et je désirais que cet endroit reste silencieux pour le repos des morts. Je désirais le silence tout simplement, je n'étais pas habitué au bavardage.


- Je m'appelle Lucien Morel.

J'éloignai ma main de mon visage et repris les devants pour me rendre à la sortie, montant les marches doucement pour ne pas glisser, je m'assurais que Ruth me suive sans dérapage sur les marches. Une fois dehors je pris une bonne bouffée d'air frais, la nuit devait être tombée depuis longtemps et c'était l'heure où l'air était pur, où l'on pouvait entendre le chant des oiseaux. C'était apaisant. Je soufflai doucement sur la flamme de la bougie, humant légèrement la fumée qui remplaçait la chaleur de sa douce lumière, tout cela pour profiter de l'obscurité qui m'entourait.

Ruth Paine

Ruth observait son interlocuteur dans l'obscurité encore rompue par la dernière lueur de sa propre bougie, puisque Lucien avait soufflé la sienne. Elle eut un sourire discret en remarquant qu'il avait quelque chose de mystique et de mystérieux qui ajoutait encore à son charme écrasant. Ruth n'en était que plus troublée mais essaya de n'en rien laisser paraître. Cela valait mieux, elle voulait entretenir des rapports tout d'abord professionnels.

Elle s'aperçut que l'obscurité s'épaississait à mesure que l'heure passait, il lui fallait retourner chez elle, elle s'était assez amusée cette nuit. Elle allait éteindre sa propre bougie mais se ravisa, elle s'adressa à l'antiquaire.

- Ravie de vous avoir rencontrer M. Morel. Je serai encore plus enchantée de vous voir dans ma bibliothèque étudier mes ouvrages. Nous conviendrons des modalités dans des conditions plus adéquates. Vous pouvez passer quand voulez de 7h à 18h. Vous vous adresserez à l'accueil qui vous dirigera vers mon bureau. Bonne fin de soirée Monsieur, et encore ravie de vous connaître.

Elle avait pris un ton purement professionnel pour ne pas laisser paraître sa gêne quant à l'idée qu'elle se faisait d'une autre soirée en la compagnie de ce séduisant et mystérieux homme, et il devait être d'autant plus intelligent. Elle lui sourit et ajouta encore.

- Je vous emprunte votre bougie, je vous la rendrai quand nous nous reverrons. Merci à vous.


Elle lui fit un signe de tête et se dirigea vers la rue en direction des pavillons chester. Il fallait qu'elle se repose maintenant, elle a eu son compte de frayeur pour la nuit. Elle sourit encore à l'idée d'avoir fait une rencontre totalement insolite. La nuit était épaisse et tant qu'elle n'aperçut pas les lampadaires, elle maintint sa bougie allumée.


By Miss Belzy & Gwen Paine

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Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons. Uniquement les textes Ruth Paine.

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