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mardi 10 novembre 2009

Un Couple Funeste - Présentation Lucien Morel



NOTE IMPORTANTE : Je ne suis pas l'auteur de cette fiche et dans les textes qui vont suivre, je ne suis pas l'auteur des textes concernant ce personnage.



Lucien Morel



I. Carte d'Identité
  • Nom : Morel
  • Prénom : Lucien
  • Emploi : Antiquaire
  • Race : Humain
  • Sexe : Masculin
  • Âge : 28 ans


    • Date de naissance : 12 décembre 1979



II. Biographie
  • Famille : Mère décédée, père décédé, fils unique
  • Histoire :


Chapitre I
Enfance...

Je me souviens. J'avais tout juste huit ans. Un soir de novembre, on m'avait laissé seul dans ma chambre que l'ombre envahissait. J'étais inquiet car la maison était pleine d'allées et venues étranges, de chuchotements mystérieux qui, je le sentais, avaient rapport avec la maladie de ma mère. Je sentais surtout qu'on m'avait oublié. Je ne sais pourquoi je n'osais pas allumer, restant assis, muet et craintif dans le noir. Je m'ennuyais. Pour me distraire et me consoler, j'entrepris de déboutonner ma petite culotte. J'y trouvai cette chose chaude et douce qui toujours me tenait compagnie. Je ne sais plus comment ma main découvrit les mouvements qu'il fallait, mais je fus soudain saisi dans un vortex de délices dont il me semblait que rien au monde ne put jamais me tirer. Je m'étonnai infiniment de découvrir une telle ressource de plaisir en ma propre chaire et de sentir mes proportions se modifier d'une façon que je n'eus même pas soupçonnée quelques instants auparavant. J'activais mes mouvements et ma volupté s'accrut encore mais, alors même qu'une vague qui me semblait née du fond de mes entrailles, paraissait vouloir me submerger et me soulever au-dessus de moi-même, des pas rapides résonnèrent dans le couloir, la porte s'ouvrit brusquement, la lumière jaillit. Pâle, hagarde, ma grand-mère se tenait sur le seuil et son trouble était si grand qu'elle ne remarqua pas l'état où je me trouvais.

"Mon pauvre enfant ! Ta maman est morte."

Puis, me saisissant la main, elle m'entraîna vivement. Je portais un costume marin dont la vareuse, assez longue, masquait heureusement la braguette que je n'avais pas eu le temps de refermer.

La chambre de ma mère était pleine de monde mais plongée dans une demi-obscurité. J'aperçus mon père, à genoux au chevet du lit et qui pleurait, la tête enfouie dans les draps. J'eus d'abord peine à reconnaître ma mère dans cette femme qui semblait infiniment plus belle, plus grande, plus jeune et plus majestueuse qu'elle ne m'avait paru jusqu'alors. Grand-mère sanglotait.

"Embrasse ta maman encore une fois", me dit-elle en me poussant vers le lit.

Je me haussai vers cette femme merveilleuse allongée parmi la blancheur du linge. Je posai mes lèvres sur son visage de cire, je serrai ses épaules dans mes petits bras, je respirai son odeur enivrante. C'était celle des bombyx que le professeur d'histoire naturelle nous avait distribués à l'école et que j'élevais dans une boîte en carton. Cette odeur fine, sèche, musquée, de feuilles, de larves et de pierres, sortait des lèvres de maman, elle était déjà répandue dans sa chevelure comme un parfum. Et soudain, la volupté interrompue ressaisit ma chair enfantine avec une brusquerie déconcertante. Pressé contre la hanche de maman, je me sentis parcouru d'une commotion délicieuse, tandis que je m'épanchai pour la première fois.

"Pauvre enfant ! " dit grand-mère qui n'avait rien compris à mes soupirs.

***

Chapitre II
Adolescence...

Je ne puis voir une jolie femme ou un homme agréable sans immédiatement souhaiter qu'ils ne fussent morts. Jadis, dans les jours d'adolescence, je le souhaitais même avec passion, avec fureur. Il s'agissait d'une voisine, de trois ou quatre ans plus âgée que moi, une grande fille brune aux yeux verts, que j'apercevais presque tous les jours. Bien que la désirant, jamais l'idée ne me serais venue de seulement toucher sa main. J'attendais, je voulais sa mort et cette mort devenait pour moi le pôle autour duquel gravitaient toutes mes pensées. Plus d'une fois, la seule rencontre de cette fille - Elle se nommait Gabrielle - me plongea dans une formidable excitation dont je savais pourtant qu'elle passerait dans l'instant même où j'entreprendrais la première démarche. Alors, je me dépeignais pendant des heures tous les dangers et tous les modes de décès qui pouvaient frapper Gabrielle. J'aimais me la représenter sur son lit de mort, imaginer très exactement les circonstances environnantes, les fleurs, les cierges, l'odeur funèbre, les lèvres pâlies et les paupière mal close sur les yeux révulsés. Une fois, la rencontrant par hasard dans les escaliers, je remarquai que ma voisine avait un pli douloureux au coin de la bouche. J'étais jeune, amoureux et romantique, ce qui me fit immédiatement conclure qu'elle avait un secret penchant pour le suicide. Je courus m'enfermer dans ma chambre, je me jetai sur le lit et m'adonnai aux voluptés solitaires. Devant mes yeux fermés, je voyais Gabrielle se balancer doucement, pendue à un crochet du plafond. De temps à autre, le corps vêtu d'une combinaison de dentelle blanche tournait au bout de la corde, offrant à la vue ses aspects les plus divers. Le visage me plaisait beaucoup, bien qu'il fût incliné et à demi dissimulé par la chevelure, plongeant dans une ombre charmante la langue énorme, presque noire, qui emplissait la bouche ouverte, comme le jet d'un vomissement. Les bras d'un brun mat, assez beaux, pendaient des épaules mollement disloquées, les pieds déchaussés tournaient leur pointe vers l'intérieur.

Je renouvelais ce fantasme sans y rien modifier, toutes les fois que mon désir l'exigea et il me procura pendant longtemps des voluptés extrêmement vives. Puis Gabrielle quitta la ville ; ne l'apercevant plus, je finis par l'oublier, et l'image qui m'avait causé tant de joies s'usa elle-même à son tour.

***

Chapitre III
L'âge adulte

Je ne sortirai pas ce soir ; je n'ai envie de voir personne et j'aimerais bien fermer le magasin dès l'après -midi. Il y a quatre ans aujourd'hui que j'ai dû me séparer de Suzanne.

A cette époque, je ne tenais pas encore mon journal mais, à présent, je veux écrire pour le revivre encore le récit de ma rencontre avec Suzanne.

Tout avait commencé sur un mode dramatique, dangereux et dès le début, nous avions été menacés ensemble, l'un par l'autre, l'un pour l'autre. C'était un soir d'automne, très doux, un peu brumeux, où les trottoirs sont glissants de feuilles mouillées. Novembre m'apporte toujours quelque chose d'inattendu bien que préparé depuis toujours. J'étais allé chercher Suzanne au cimetière Montparnasse. Attente. Bonheur anticipé, comme chaque fois. Je savais seulement son nom, qu'elle avait trente-six ans, qu'elle était mariée, sans profession. Très curieux de la connaître. Tout s'effectua normalement et je n'eus aucune peine à la hisser par-dessus le mur ; elle était petite et mince. Je croyais n'avoir à faire qu'une dizaine de pas le long du boulevard Edgar-Quinet pour atteindre la rue Huyghens où j'avais laissé ma voiture mais probablement la brume m'avait-elle induit en erreur, car je m'aperçus très vite être sorti du cimetière bien en deçà du point que j'avais envisagé. Je me hâtais de mon mieux, content que Suzanne fût si légère, quand je crus soudain que mon cœur allait s'arrêter. Deux flics effectuant leur patrouille venaient à ma rencontre. Ils ne se pressaient pas mais me barraient la seule retraite possible ; déjà le grincement atroce des roues me parvenait distinctement. Tenant Suzanne fortement enlacée, je la plaquai contre le mur du cimetière. Par bonheur, elle n'était pas vêtue de ces horribles robes funèbres, mais portait simplement un costume en jersey et des chaussures de ville. Dans l'épouvantable grincement des roues, le faisceau d'une torche électrique toucha nos jambes : celles d'un couple qui s'embrasse. Derrière moi, le monde hostile, les flics, la bêtise, la haine. Devant moi, cette femme inconnue au visage renversé dans l'ombre du mien, cette femme qui s'appelait Suzanne et pour l'amour de laquelle je risquais ma propre destruction. Je crus que l'instant ne finirait jamais, jusqu'à ce qu'une voix qui déjà s'enrouait en direction de Raspail, graillonne un "Ben merde, drôle de décor pour des amoureux..."

Il me fallut je ne sais combien de siècles pour surmonter la paralysie dans laquelle la terreur me figeait - immobilisé comme dans un cauchemar - , me remettre en marche et arriver à ma voiture. Bien que je ne fusse pas assez stupide pour mesurer le prix des choses aux difficultés de leur conquête, je savais déjà que cette épreuve était la contrepartie d'indicibles félicités.

Suzanne... Une petite bourgeoise aux cheveux blonds sagement coiffés, au chemisier à pois sous un costume classique. On lui avait ôté son alliance. A cette heure, son mari la portait, effondré de chagrin - ou peut-être pas - entre les plantes vertes, le buffet et le poste de télévision, quelque part dans un appartement de la rue de Sèvre.
Rue de Sèvre... Pont de Sèvre...
Elle n'était pas jolie, n'avait même jamais dû l'être, seulement gentille avec son nez retroussé, ses sourcils levés dans un formidable étonnement. Car la mort avait dû la surprendre, peut-être entre des emplettes au Bon Marché et la confection d'une tarte aux pommes, la faucher d'un coup sec, d'un infarctus ou de quelque autre chose de ce genre. On ne voyait nulle trace de combat ni même d'apaisement, rien. Rien que l'étonnement d'être morte. Suzanne avait une peau douce, des ongles en amande. Lui ôtant son chemisier, je remarquai les aisselles soigneusement rasées. Elle portait du linge de crêpe de Chine, d'une qualité bien supérieure à celle de son costume et j'en conclus une dignité, une pudeur féminine de bon aloi. On voyait à son corps qu'elle l'avait toujours respecté par une sorte d'ascèse, mais une ascèse aimable, civilisée, clémente.

Suzanne... Le Lis... Il y a pureté chaque fois qu'un nouveau seuil est franchi. Elle avait passé celui de la mort.

J'avais dès le premier instant senti ce que Suzanne serait pour moi. Aussi, bien que très frileux, m'empressai-je d'éteindre le chauffage en ce mois de novembre, d'établir ces sournois courants d'air qui réfrigèrent les pièces en un instant et pour bien des heures. Je préparai de la glace, j'éloignai de Suzanne tout ce qui pouvait lui nuire. Sauf moi, hélas !

Je revins vers elle, impatient comme un jeune époux. Sa délicieuse odeur de bombyx était juste telle qu'il fallait. Je portai Suzanne sur mon lit. D'une main tremblante, je lui enlevai son soutien-gorge, sa petite culotte. L'attente m'arrachait des gémissements, la tension de mon désir ne me permettait plus de différer l"instant de la possession. Je me jetai sur cette morte charmante et sans même la débarrasser de son porte-jarretelles ni de ses bas, je la pris avec une ferveur et une violence que je n'avais, je crois, jamais éprouvées jusqu'alors.

Le matin venu, je descendis chez la concierge, la prier de ne me laisser déranger sous aucun prétexte. J'alléguai un travail urgent et difficile, la restauration d'un tableau très précieux, ouvrage que je n'exécute d'ailleurs jamais moi-même. Elle sembla me croire à demi, malgré l'étrange coup d'œil qu'elle me lança.

Je m'enfermai avec Suzanne. Noces sans musique et sans bouquet dans ma chambre glaciale où brûlaient les lampes. Je ne répondais pas au téléphone. Une ou deux fois, malgré mon interdiction, on sonna à la porte d'entrée. Le cœur battant, retenant mon souffle, immobile dans le vestibule obscur, j'étais alors prêt à tout pour défendre mon trésor.

J'entourais Suzanne de sacs de glace. Je passais souvent de l'eau de Cologne sur son visage merveilleusement intact, si l'on excepte cette lueur grasse qui s'attache aux pommettes et ce pincement délicat qui affine le nez des morts. Trois jours après son arrivée, Suzanne ouvrit soudain la bouche, comme pour dire quelque chose. Elle avait de jolies dents régulières. Ne disais-je pas que les morts ont toujours des surprises à faire ? Ils sont si bons, les morts...

Pendant quatorze jours, j'ai été indiciblement heureux. Indiciblement mais pas absolument car, pour moi, jamais la joie ne vient sans chagrin de la savoir éphémère, tout bonheur porte le germe de sa propre fin. Seule la mort, la mienne, me délivrera de la défaite, de la blessure que nous inflige le temps.

Avec Suzanne, j'éprouvais tous les plaisirs sans les épuiser. Je la couvrais de caresses, je léchais tendrement son sexe, je le dévorais avec avidité, je m'y plongeais et m'y replongeais sans cesse, lorsque je ne préférais pas les délices de Sodome. Alors Suzanne laissait entendre un léger sifflement qu'on eût dit admiratif ou gentiment ironique, un souffle qui semblait ne pas vouloir finir, une douce plainte prolongées : Sssss... S comme Sèvres...

Suzanne mon beau Lis, la joie de mon âme et de ma chair, se marbrait de plaques violâtres. Je multipliais les sacs de glace. J'aurais voulu garder Suzanne toujours. Je la gardais presque deux semaines, dormant à peine, me nourrissant de ce que je trouvais dans le frigidaire, buvant trop parfois. Le tic-tac des pendules, le craquement des boiseries avaient adopté une qualité particulière, comme chaque fois que la Mort est présente. Elle est la grande mathématicienne qui rend leur valeur exacte aux données du problème.

Au fur et à mesure que le temps passait, que la poussière posait un voile cendreux sur toute chose, augmentait mon désespoir de devoir quitter Suzanne. Les idées les plus folles me venaient à l'esprit. L'une d'elle, surtout, ne me quittait plus. J'aurais dû, me disais-je, enlever Suzanne à l'étranger - mais où ? - dès le premier soir, avant même d'en avoir fait ma maîtresse. Je l'aurais fait embaumer et j'aurais pu ne jamais m'en séparer. C'eût été le bonheur. Au lieu de quoi j'avais été fou, fou et mauvais, je n'avais pas eu la sagesse de surmonter et de différer mon désir, j'avais perdu par la grossièreté de mon sexe un corps qui toujours aurait pu réjouir mes sens et mon cœur. Maintenant, il était trop tard, je ne pouvais plus faire embaumer Suzanne. Le repentir et la douleur me serraient dans un épouvantable étau. Mais à peine m'étais-je dit qu'il était trop tard et que j'avais tout gâté, que je me précipitais de nouveau aux pieds de ma maîtresse, couvrant de baisers ses jambes où déjà le duvet rasé commençait à repousser. Le désir me saisissait encore plus fort que ne l'avait fait le chagrin et bientôt je me retrouvais enlacé à Suzanne, ma bouche sur sa bouche, mon ventre sur le sien.

La passion, le chagrin m'avaient envahi à tel point que je ne me baignais plus, ne me rasais plus et les miroirs me renvoyaient l'image d'un homme livide, hirsute, aux yeux caves bordés de rouge. Assis au chevet de Suzanne, une bouteille près de moi, enveloppé dans des lainages pour lutter contre le froid, j'imaginais me trouver dans mon propre tombeau. Les bruits du dehors parvenaient à peine jusqu'à moi, ne traversaient presque plus les rideaux tirés : parfois seulement, le tonnerre d'un poids lourd ou le son clair des poubelles tirées à l'aube sur le trottoir.

Le dernier soir, j'ai lavé Suzanne, je lui ai remis son linge fin, son costume bourgeois, que deux semaines plus tôt je lui avais retirés dans l'euphorie. Entourée d'un plaid, je l'ai portée jusqu'à la voiture. Suzanne verte, Suzanne bleue, déjà habitée, je crois. Au moment où je la laissai glisser dans la Seine, je poussai un cri que j'entendis résonner, comme venu d'une autre planète. Il me sembla qu'on m'arrachait le cœur.

La Seine avait accueilli son corps, pendant deux semaines saturé de ma sueur et gorgé de ma semence, ma vie, ma mort, mêlées en Suzanne. En elle, j'entrai dans l'Hadès, avec elle, je roulai jusque dans les limons océaniques, m'enchevêtrai dans les algues, me pétrifiai dans les calcaires, circulai dans les veines des coraux...

Rentré chez moi, je me jetai sur un lit qui sentait la charogne. Je m'endormis d'un seul coup, brutalement saisi par un sommeil mortel, bercé par les mêmes flots noirs - mare tenebrarum - qui berçaient Suzanne, Suzanne mon amour.


By Miss Belzy

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